Quand Mandela est entré en prison, c’était un jeune révolutionnaire fougueux. Et, regardez l’homme qui est sorti. Pour ma famille, le nom de Mandela est un poids qui pèse sur nos épaules. Vous devez tous comprendre que Mandela n’a pas été le seul homme qui a souffert. Il y en a eu beaucoup d’autres, des centaines, qui ont macéré en prison et sont morts. Notre combat comptait beaucoup de héros, restés anonymes et méconnus, et il y en avait d’autres aussi dans le leadership, comme le malheureux Steve Biko, mort tabassé, dans une atroce solitude. Quand Mandela est entré en prison, c’était un jeune révolutionnaire fougueux. Et, regardez l’homme qui est sorti, dit-elle en prenant l’écrivain à témoin. Mandela nous a laissé tomber. Il a accepté un mauvais accord pour les noirs. Économiquement, nous sommes toujours exclus. L’économie reste très blanche. Il y a bien entendu quelques noirs alibis, mais tant de ceux qui ont donné leur vie pour ce combat sont morts sans en avoir touché les dividendes. “Je ne peux pas lui pardonner d’avoir reçu le Nobel (en 1993) avec son geôlier, Frederik De Klerk. Ils y sont allés la main dans la main.
Vous pensez que De Klerk l’a libéré par pure bonté d’âme ? non. Il n’avait pas le choix. C’était dans l’air du temps, le monde avait changé, et notre lutte n’était pas un feu de paille. C’était une lutte meurtrière, pour dire le moins, et nous avions donné des fleuves de sang. Je l’avais maintenue vivante avec tous les moyens dont je disposais. Regardez cette farce que constitue la commission vérité et réconciliation. Il n’aurait jamais dû accepter. Qu’est-il sorti de bon de la vérité ? En quoi aide-t-elle qui que ce soit à savoir où et comment leurs proches ont été tués ou enterrés ? quand l’archevêque Tutu, qui a fait de tout cela un grand cirque religieux, est venu ici, poursuit-elle en montrant une chaise vide, il a eu le culot de me demander de comparaître. Je lui ai servi quelques vérités bien senties. Je lui ai dit que lui et sa bande de crétins n’étaient assis là que grâce à notre combat et grâce à moi. Grâce à tout ce que moi et des gens comme moi avons fait pour gagner la liberté.”…”Je ne suis pas seule, reprend-elle. Les gens de Soweto sont encore avec moi. Regardez ce qu’ils lui font faire. Le grand Mandela. Il n’a plus de pouvoir ni même voix au chapitre. Ils ont dressé cette énorme statue de lui en plein milieu du quartier blanc le plus riche de Johannesburg, pas ici, où nous avons versé notre sang et où tout a commencé. Mandela est devenu une fondation institutionnalisée. On le trimbale dans le monde entier pour lever des fonds et lui est tout content de jouer le jeu. L’ANC l’a mis sur la touche, mais le garde comme figure de proue pour sauver les apparences.”