Des unités centrales hors d’usage, des scanners d’occasion, une bonne dose de débrouillardise, voilà ce qu’il a fallu à un géographe togolais pour créer la première imprimante 3D 100% recyclée. Un projet qui permet également de lutter contre les décharges électronique qui pullulent au Togo.
Les imprimantes 3D, qui permettent d’imprimer tout type d’objet par modelage ou par laser, se sont démocratisées à partir de 2012. Un marché qui représente plus de 1,5 milliards d’euros et pourrait s’élever à 6 milliards d’ici 2020. Durant cette période de Noël, plusieurs entreprises occidentales proposent déjà des imprimantes 3D à prix imbattable pour les particuliers.
“Le problème des décharges électroniques ne fait qu’empirer d’année en année à Lomé”. C’est en août 2012 qu’Afate Gnikou, géographe de formation, voit pour la première fois une “Mendel”, imprimante 3D autoréplicable artisanale, lors d’un atelier à Lomé.
La machine m’a d’abord fascinée par les possibilités créatives qu’elle proposait. Mais très vite, je me suis rendu compte que ce n’était pas à la portée de tous, car ces machines sont fabriquées à partir de pièces imprimées, elles-mêmes fabriquées par des imprimantes 3D ! Souvent, il faut les commander et les importer d’Europe, ce qui revient très cher. Mon défi était alors de créer une machine 3D en utilisant des objets à notre disposition.
A Lomé, nous avons un énorme problème, qui touche également le Ghana et le Nigeria : les décharges électroniques. Il y a énormément d’ordinateurs d’occasion qui arrivent d’Europe au Ghana ou au Nigeria par conteneurs et qui se retrouvent dans nos pays. Ces machines sont entassées dans des décharges à ciel ouvert qui sont très peu réglementées. Difficile de dire combien de tonnes se retrouvent là, mais ce qui est sûr, c’est que le problème ne fait qu’empirer avec les années. Selon un récent rapport publié par Solving the E-waste Problem, 50 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (e-waste) ont été générés dans le monde en 2012, soit environ 7 kg par personne. Ces flux de déchets devraient atteindre 65 millions de tonnes en 2017. Selon les experts, entre 50 et 85% de ces déchets atterrissent entre le Nigeria, le Ghana et le Togo. En outre, d’ici 2017, l’Afrique générera plus d’e-waste que l’Union Européenne.
Ce problème, Afate Gnikou a voulu le résoudre à sa manière:
C’est dans les décharges des quartiers de Foviépé et d’Avenou, à Lomé, que je suis allé chercher des unités centrales hors d’usage, des vieux scanners, des rails d’assemblage, des composants… tout ce qui était réutilisable pour créer le châssis et la partie électronique de l’imprimante. Ça m’a pris six mois pour développer le premier prototype. J’ai reçu l’aide de, WoeLab (un collectif qui se définit comme un ‘espace de démocratie technologique tenue par une communauté qui fonctionne sur les principes d’humilité, de partage et du collaboratif), installé à Djidjolé, un quartier défavorisé de Lomé. Cela a permis à des jeunes sans emploi de venir me voir travailler et de s’impliquer dans le projet.
Beaucoup de gens nous disent que ce que l’on fait est très compliqué, que c’est réservé “à l’élite”. Personnellement, je n’ai aucune formation en informatique, et j’ai suivi une filière littéraire durant mes études. Construire un modèle comme ça, c’est juste une question de volonté et de créativité. Le premier objet que nous avons imprimé, je l’avais imaginé de A à Z sur un logiciel de modélisation 3D : un porte-stylo. Dessus, on y a inscrit “droit à rêver”, notre leitmotiv depuis le début. Le premier objet imprimé par l’imprimante 3D artisanale.
“Imprimer des objets, c’est aussi facile que de télécharger un PDF!”
Nous avons terminé la phase de développement de la machine grâce à une opération de crowdfunding (le WoeLab a récolté 4316€ de dons sur Internet, plus que les 3500 € qu’ils souhaitaient lever lors de cette campagne). La machine est capable d’imprimer des objets en plastique qui oscillent de quelques centimètres à un mètre de long. On a d’ailleurs vendu la première lors du Carrefour des possibles à Abidjan.
Nous sommes cependant encore dans une phase où l’on a besoin d’argent pour rendre la machine plus accessible financièrement : en l’état actuel, on la vend 600 € pour ne pas perdre de l’argent (un prix inférieur au machines premier prix en Europe, mais supérieur aux machines autoréplicables américaines). On a pour objectif de confectionner ces machines en série, de mettre en place des ateliers de formation et de créer des partenariats avec des cybercafés pour démocratiser son utilisation. Une fois qu’on a la machine et la méthode, il suffit de télécharger des modèles sur internet, et créer ses objets est aussi simple que d’ouvrir un fichier PDF!
Afate Gnikou a organisé des ateliers pour faire connaître son travail aux jeunes de Lomé.
J’ai lancé ce projet tout seul chez moi, pour m’amuser. Mais je n’ai pris conscience de sa portée que lorsque j’ai vu les gens s’enthousiasmer, me citer le discours de Barack Obama (qui a estimé lors de son discours sur l’état de l’Union en février que les imprimantes 3D marquaient une nouvelle révolution industrielle). Si on peut accompagner cette révolution, et ne pas attendre plusieurs années avant d’en profiter, et créer des emplois sur le continent africain, ça sera une vraie fierté pour moi.
Le WoeLab, qui a appuyé sur l’idée d’Afaté, estime que ce projet a le potentiel pour créer 15 000 emplois. Si vous voulez soutenir leur projet, vous pouvez les contacter à woelabo@gmail.com ou sur leur page Facebook.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste pour les Observateurs de FRANCE 24
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