Parmi les idées reçues que le milieu afrocentrique invoque pour jeter le discrédit sur les Sémites prétendument leucodermes (blanc de peau), figure une déposition du savant Cheikh Anta Diop dans deux de ses livres majeurs.
En effet, Cheikh Anta Diop, parlant de la destruction de l’empire koushite des Adites dans la péninsule arabique, met en accusation une tribu sémite, prétendument blanche et barbare du nom de Jectanide. Cette position se fonde sur une partie des travaux de l’assyriologiste et archéologue français François Lenormant (17 janvier 1837-9 décembre 1883) :
« L’Empire des premiers Adites fut détruit au XVIIIe siècle avant l’ère chrétienne par une invasion de tribus jectanides de race blanche, incultes, qui seraient venues s’installer parmi les Nègres »[1].
Cette déclaration du savant panafricain Cheikh Anta Diop sera réitérée dans son œuvre maîtresse, l’Unité culturelle de l’Afrique noire: domaines du patriarcat et du matriarcat dans l’antiquité classique, à la page 90 de l’édition de 1982 chez Présence Africaine.
Parlant du patriarche Abraham, Charles Dollfuss nous donne une information d’une importance capitale concernant les Jectanides :
« Avant l’époque de Mahomet, les Arabes le (Abraham) revendiquaient déjà comme un de leurs ancêtres : ils disaient que plusieurs de leurs tribus faisaient remonter leur origine à Ismaël, fils d’Abraham marié à une princesse de la race des Jectanides »[2]
Plus loin Charles Dollfuss précise que ces Jectanides sont des Sémites :
« Cette assertion, dit M. Rodier, placerait Abraham postérieurement à l’an 3088, époque de Chomas Belus, puisque c’est la date la plus reculée qu’on puisse donner à l’entrée en Arabie desSémites Jectanides »[3]
Abraham, père d’Ismaël est un Couchite de Chaldée. Haggar, mère d’Ismaël est une Couchite d’Egypte. Les deux parents d’Ismaël sont donc des Noirs. De plus nous savons, par la Bible (Genèse 21 :21), qu’Haggar mère d’Ismaël lui prit une femme noire en Egypte, son pays. Or Charles Dollfuss nous apprend que cette femme est de la « race » (ethnie) des Jectanides, et plus précisément une princesse jectanide.
Donc contrairement à ce qu’avance Cheikh Anta Diop, les Sémites Jectanides ne sont pas des populations blanches mais bien noires, puisqu’une de leur princesse s’est mariée avec Ismaël. Or la femme d’Ismaël était une femme Noire, comme sa propre mère Haggar.
La négritude des populations arabes sémites jectanides est également attestée par forces historiens :
« Parmi les diverses branches de la généalogie de Sem, une des plus importantes est celle des Jectanides : ces descendants d’Arphaxad s’étendent sur les bords occidentaux du golfe persique, déplaçant et chassant devant eux les peuples de Cham ; ils suivent et tournent les rivages de la péninsule Arabique; et fondent en face de l’Afrique, dans l’Iemen ou pays des Homerites, le royaume puissant de Saba. « Ils étaient séparés de l’Abyssinie par un détroit si peu large, que d’une rive à l’autre, dit l’auteur arabe Albuféda, chacun peut reconnaitre ses parens. » Les Jectanides étendent leur domination des deux côtés du golfe, commandant en Afrique aux Nubiens, et de l’Arabie, refoulent vers la Méditerranée les Phéniciens, dont on ne peut révoquer en doute, d’après les témoignages d’Hérodote et de Justin, la situation primitive sur les bords de la Mer Rouge. Or, les Phéniciens et les Nubiens étaient les uns et les autres de la race de Cham. Car leur physionomie et leur taille les distinguent suffisamment des Sémitiques, qui se faisaient remarquer par leur beau sang et leur taille élevée ; et ce qui doit faire rattacher à la race de Sem les peuples qui, par le détroit de Babel-Mandel, allèrent fonder les royaumes d’Abyssinie, de Nubie, et puis d’Ethiopie, c’est que les Sabéens, qui furent certainement ces peuples vainqueurs, comme les Jectanides, comme les tribus de la race d’Abraham, comme tous les Sémitiques se distinguèrent des peuples voisins ou vaincus par leur grande taille. (…) Ici s’offre l’un des problèmes les plus intéressants qu’on ait soulevé sur l’histoire primitive, celui de la parenté entre des Ethiopiens, des Egyptiens et des Sémitiques »[4]
Ainsi le Pr François Lenormant, que cite pourtant le Pr Cheikh Anta Diop, nous informe sur le fait que les Jectanides sont la population à l’origine de la fondation du royaume de Saba qui s’étale des deux côtés des rives de la Mer Rouge, dans la Corne de l’Afrique et dans le Sud-Ouest du Yémen. Ces Sabéens (Jectanides) sont de nobles lignées et dont l’antériorité de leur arabité est reconnue par toutes les tribus arabes :
« Malgré les prétentions des Ismaelites, ou Arabes du Hedjaz, à une illustre origine, ils ont toujours avoué l’antériorité nationale des Jectanides ou Arabes de l’Yemen. Ces derniers s’appelaient Aribah ou Arabes pur sang, tandis que les autres étaient désignés sous le nom de Moustarribes, entés sur les Arabes par l’union d’Ismaël avec une fille des Jectanides, dont il eut douze fils, d’où sortirent les douze tribus du Hedjaz. Les Arabes de l’Yémen ont eu des dynasties qui jouissent d’une certaines célébrité dans l’histoire. La dynastie Hymiarite ou Homerite[5] est une des plus connues. Parmi les rois de cette dynastie, nous citerons Jectan ; Saba, fondateur de la ville de Saba et des Sabéens ; Hymiar et Belkis-la reine de Saba, contemporaine de Salomon-qui construisit la fameuse digue Mahrab, rompue sous le règne d’Akran, vers la fin du premier siècle de notre ère. »[6]
Nous seulement les Jectanides ou Arab-‘Ariba ou Sabéens sont d’illustres lignées avec une grandiose histoire, mais leurs dynasties se sont perpétuées jusqu’au temps du prophète Muhammad ibn Abdullah où le Négus chrétien Dhoul Nawas mit fin à leur domination sur le Yémen :
« C’est la succession non interrompue des Rois Tobbaï, de la race des Jectanides, qui gouvernèrent l’Yemen depuis Joktan jusqu’à l’invasion des Ethiopiens, qui eut lieu sous le règne de Dhou’lnaovas, lequel cessa de régner soixante et dix ans avant la naissance de Mahomet, par conséquent l’an 502 de l’Ere Chrétienne. Avec son fils Dhou’jadan, qui ne put recouvrer l’empire de son père, finit la dynastie des Jectanides. Sous la domination de ces Princes Hymjarites, descendants d’Homeir, fils de Saba, et qui sont aussi connus dans l’Ecriture sous la dénomination de Sabéens, l’Arabie fut toujours indépendante et ne reçut jamais les lois d’un vainqueur étranger »[7]
Ainsi voyons-nous l’image du sémite, blanc, inculte que l’historiographie orientée souhaite donner des Jectanides est complètement erronée. Car les Jectanides appartiennent bel et bien à la sphère noire, et sémite et surtout sont une population noble éduquée qui a édifié de grands royaumes dans l’Histoire et ce depuis des millénaires. C’est de cette noblesse de cette population noire d’Arabie méridionale dont se réclamèrent les Arabes les plus distingués.
De la nous revenons sur l’épisode conflictuel entre Adites (couchites de la descendance de Cham) et Jectanides (couchites de la descendance de Sem) évoqué par le Pr. Cheikh Anta Diop. Et nous comprenons qu’il ne s’agissait pas d’une guerre entre Noirs d’un côté (Adites) et Blancs de l’autre côté (Jectanides), mais d’un conflit entre deux ethnies noires différentes ; l’une chamitique et l’autre sémitique .
« Vers 2900 ils (les Adites) furent chassés par les Sémites, Arabes jectanides de l’Arabie méridionale. Leurs tribus, refoulées en 2898 au nord de l’Arabie, envahirent l’Egypte, sous le nom de Hycsos. Vers 2760 ils étaient, sous le nom de Chananéens, maîtres de la Palestine. En 2554 ils prirent contre les Sémites une éclatante revanche et firent la conquête de la Chaldée méridionale ou Babylonie, dont ils furent chassés 2274 par l’Assyrien Ninus. On voit, en 1946, les Hycsos chassés de l’Egypte, s’accumuler dans le Chanaan et ils commencent à envoyer dans notre mer Méditerranée des colonies que maintiennent et multiplient, à partir de l’an 1599, les tribus chananéennes si connues sous le nom de Phéniciens. Dans l’histoire de ceux-ci s’éteint peu à peu l’éclat primitivement si brillant du nom des Kushites. »[8]
Le comte Émile de Kératry nous fournit une information capitale, car il nous apprend que les Kushites, en l’occurrence les Adites, repoussés par les Jectanides sont le même peuple qui envahit l’Egypte sous le nom de Hyksos ou Héka Kashout (en médou neter). La communauté scientifique pose que les Hyksos sont les ancêtres des Hébreux. Si tel est le cas, le comte Emile de Kératy confirme les propos Cornelius Tacite ou de Diodore de Sicile selon lesquels les Hébreux sont des Noirs de la « race » éthiopienne.
Là encore, l’historiographie orientée doit se remettre en question et revoir ses positions quant à la leucodermiedes Hyksos et des Hébreux. Car il est attesté que ces derniers appartiennent pleinement au monde noir.
De cette courte étude, il appert que les Jectanides, les plus nobles des Sémites sont une population noire qui a rayonné sur toute l’Afrabie (Corne de l’Afrique+Arabie). Il ressort que les Jectanides sont les plus nobles des Arabes.
Il appert également que les Hyksos dont la communauté scientifique font d’eux les ancêtres des Hébreux sont des couchites, des Noirs qui selon les périodes de l’Histoire étaient appelés Cananéens, Phéniciens ou Adites.
Il ressort également une parenté génétique, linguistique, culturelle entre les populations arabes, éthiopiennes, égyptiennes, nubiennes.
TAHERUKA SHABAZZ, Directeur de l’ISA
[1] Nations nègres et culture: de l’Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, Cheikh Anta Diop, p. 190, Présence africaine, 1979
[2] Revue Moderne-XIIè année-seconde période, tome 52, p. 343 , Lacroix-Verboeckhoven-& Cie Editeurs, 1869. Voir également Antiquité des races humaines: Reconstitution de la chronologie et de l’histoire des peuples primitifs par l’examen des documents originaux et par l’astronomie, Gabriel Rodier, p. 91, Paris, Amyot, 1862 ; Accord de la science et de la religion: le déluge mosaïque, l’histoire et la géologie, Edmond Lambert, p. 473, V. Palme, 1870
[3] ibidem
[4] Annales de philosophie chrétienne, Volume 13, M. A. bonnety (sous la direction de ), François Lenormant, p 57-58, Bloud & cie, 1836
[5] Les Hymiarites et les Ethiopiens de l’Abyssinie appartenaient au même rameau ethnologique, qui ‘est perpétué jusqu’à nos jours par les Akhdam, qui sont les parias de l’Arabie méridionale et dui doivent être venus de l’Inde, car ils ont de grandes analogies avec les Indiens
[6] Histoire de l’islamisme et des sectes qui s’y rattachent, Frédéric Le Blanc Hackluya, pp. 3-4, Victor Legou Editeur, 1852
[7] Quelle est l’importance de l’étude des langues saintes et quelles sont les autres langues anciennes qui peuvent faciliter une connaissance plus développée de la langue hébraïque ?, César Dufournet, pp. 30-31, de l’Impr. de Hignou aîné, 1821
[8] Revue moderne, XIIè année-seconde période, Volume 49, E. de Kératry, pp. 430-431, Lacroix-Verboeckhoven-& Cie Editeurs, 1868