Les dates utilisées sont celles le plus couramment admises bien qu’elles manquent de pertinence.
Neter : terme généralement traduit par dieu, pour des raisons étymologiques, on conservera le terme initial.
Neterou : pluriel de neter.
Kemet : Égypte pharaonique dont le début est estimée à -3400 avant notre ère.
Serekh : cadre rectangulaire dans lequel est inscrit le nom d’Hor (Horus) du Per Aha (Pharaon) à l’époque protodynastique et Ancien Empire.
Sumer : civilisation située dans le sud de l’actuel l’Irak allant de -3000 à -1750 av J-C.
L’examen des données anthropologiques Sumériennes publié par le Field Museum et l’Oxford University suite aux
fouilles menées en 1926 et 1928, ont montré que le type premier d’individu qui peuplait Sumer était similaire à celui que l’on retrouvait à Kemet et dans le haut désert à l’ouest du Nil, c’est à dire le type Négroïde.
Une interrogation qui revient souvent lorsqu’il est question de Kemet, « Comment une civilisation ayant eu autant d’avance scientifique, au point même d’être considérée par les civilisations voisines comme « La Terre de Dieux », a pu s’éteindre ? »
Une des réponses à cette question réside sûrement dans ce qu’on peut qualifier de « Guerre des Neterou », en effet à partir des éléments archéologiques disponibles il est possible de dresser une carte politico-alchimique donnant une image de Kemet rarement présentée. Celle d’un pays au sein duquel les hommes ont semblé rejouer sans cesse cette lutte qui opposa Hor à Set, allant jusqu’à en marquer la société entière et au-delà.
L’histoire de cette lutte reprend vie durant les fouilles du site d’Abdju (Abydos), un haut lieu de culte au neter Ousir (Osiris), menées par l’égyptologue Émile Amélineau de Novembre 1895 à Mars 1899. Il fit une double découverte décisive, la première, celle du haut lieu de culte qu’était Abdju, la seconde, celle des Anu, terme désignant une population pré-dynastique venue du sud, ayant vécu à l’endroit qui deviendra par la suite Kemet.
Les Anu sont une découverte décisive parce que leur existence corrobore avec les propos recueillis par Hérodote, que les premiers habitants de Kemet formaient une colonie venue de la Nubie, et annulent ainsi la thèse selon laquelle la civilisation de la Vallée du Nil aurait pris naissance sous l’influence Sumérienne puisque les Anu possédaient déjà bien avant la période dynastique les éléments de civilisations que l’on retrouvera par la suite dans tout Kemet. De plus, toujours d’après les travaux d’Amélineau, ils sont les fondateurs des villes Aunyt-seni (Esnesh), Erment, Qouch puis Anu (Héliopolis).
Par la suite, les travaux de W.M. Flinders Petrie confirmés par le travail archéologique de Stephen Quirke mirent en évidence un autre peuple pré-dynastique que Petrie désigne par le terme « rekhytu » disposant également des éléments de la civilisation et occupant une partie de la Basse-égypte tandis que les Anu, une partie de la Haute-égypte.
En fait, nous sommes en présence d’une même population mais fonctionnant comme deux tribus distinctes qui demeurèrent en conflit, conflit auquel la Sema Taoui (Unification des deux terres) viendra mettre un terme d’apparence. En effet d’après le tableau présenté par Petrie, lorsque les « Rekhytu » se déplaçaient vers le sud, ils étaient attaqués par les Anu et vice-versa, toujours d’après Petrie, les « rekhytu » étaient les vrais gardiens de ce qu’il appelle la Tradition, des fidèles à Hor, porteur du Descheret (Couronne Rouge). Ce qui est intéressant à noter est que ce conflit dont fait état Petrie semble être une continuité de la lutte mythique faisant rage entre les netetou. Dans ce cas le nom porté par un Per Aha devient un symbole d’allégeance au neter, d’ailleurs à Kemet, la mort d’un individu se faisait à travers la suppression de son nom sur les monuments et archives. Ainsi celui qu’on appelle le « Roi Scorpion », Roi des Anu qui arbore un des symboles de Set, est un ennemi du faucon dysnatique Hor (horus).
Hor et Set scellant la 1ère Sema Taoui
Mais malgré la Sema Taoui, ce conflit n’a pas pour autant cessé, au contraire pourrait-on dire puisque l’enjeu désormais était ni plus ni moins le contrôle de tout le pays. En effet d’après Petrie, c’est durant la 2e Dynastie (de -2890 à -2686 av J-C) que les fidèles de Set, les Anu, commencèrent à prendre le contrôle de Kemet, thèse soutenue par plusieurs éléments :
– Cette Dysnatie commence par le Per Aha, Hetep-sekhemui « Paix entre les Deux (Hor et Set) Puissances ».
– Puis vient l’arrivée d’un Per Aha, Per-Ib-Sen, portant un Serekh avec une représentation de Set au lieu d’Hor. En fait pour certains égyptologues, Per-Ib-Sen aurait changé son nom de couronnement en plein règne passant du nom initial d’Hor « Sekhemib » à un nom de Set « Per-ib-sen ». Cette thèse du Per Aha ayant changé de nom est encore discutée parce qu’aucuns des objets retrouvés ne font mention des deux noms côte à côte, ainsi certains égyptologues penchent beaucoup plus pour deux Per Aha différents. Quelque soit les thèses soutenues, elles mettent en évidence l’entrée d’un Per Aha porteur d’un nom Setien à la tête de Kemet ce qui confirme les travaux de Petrie.
C’est également à cette période que l’on retrouve ce qui est pour l’instant qualifié comme le premier Per Aha portant un nom d’horus faisant référence à Râ, NebRâ « Râ est mon Maître ». Autrement dit, c’est dans cette dynastie que les fidèles de Râ furent à la tête de Kemet pour la première fois.
– Cette Dynastie se fermera par le Per Aha du nom d’Hor-Set Kho-sekhemui qui signifie « Les deux sceptres (Hor et Set) sont unis dans la paix».
On retrouve ensuite les manifestions de cette lutte dans la Ve Dynastie (de -2494 à – 2354 av J-C), lorsque Râ prit une place importante parmi les neterou en devenant la divinité principale d’Anu (Héliopolis) fusionnant d’une certaine manière avec le grand neter initial de cette ville, Atoum. Ils représentent alors deux des trois phases du Soleil. À Anu, un nouveau type de bâtiment fit son apparition, les Temples Solaires, 6 en furent construits. Les Per Aha de cette Dynastie procédèrent également à une modification de l’administration de Kemet, alors que les prêtres chargés des fonctions royales étaient jusqu’à lors des membres de la famille royale, c’est désormais auprès de la population non-régnante qu’ils furent choisis. Les Ministères, comme la Double Maison Blanche, le Double Bureau et le Double Grenier, furent dédoublés, un pour la Haute-égypte et un autre pour la Basse-égypte, cette réorganisation administrative aura pour conséquence la diminution de la puissance du Per Aha qui perdit peu à peu le pouvoir sur les clergés. Situation inédite puisque comme nous le dit James Henry Breasted, le clergé avait jusqu’à lors toujours été intimement lié à la Royauté.
Une des explications à l’apparition de cette Dysnatie solaire sera donnée sous forme de prophétie à travers le papyrus Westcar, copie d’un texte daté de la XII Dynastie, où Râ en personne « enfanta », Redjenet, la femme d’un de ses prêtres, qui donnera naissance aux trois premiers Per Aha de la Ve Dynastie.
Cette réorganisation survenue au cours de la Ve Dynastie est, d’après James Henry Breasted, à l’origine de la grande période d’instabilité qui toucha Kemet durant la VIe Dysnatie (de -2345 à -2181 av J-C), le pouvoir politico-alchimique des nomes, redevenues héréditaires dans la transmission, était devenu si important qu’elles prirent le dessus sur le pouvoir central du Per Aha provoquant la première scission de Kemet et la Première Période Intermédiaire (de 2181 à 2055 av J-C), avec Ouaset (Thèbes) comme capitale de la Haute-Égypte et Hout-nen-nesu (HeraKleopolis Magna), « Maison de l’Enfant Royal », capitale de la Basse-Égypte. Il faudra attendre la XI Dynastie (de -2134 à -1991 av J-C) et le Per Aha de Ouaset, MontouHotep II, pour assister à la seconde Sema Taoui. Son cas est assez symbolique des divergences potilico-alchimiques et de leurs évolutions puisqu’il changea sa Titulature 3 fois, son dernier nom d’Hor fut Hor Sema Taoui, « Hor, celui qui a unifié les Deux Terres ». Sa réunification fut très compliquée parce qu’il du faire face à l’opposition de clergés ne voulant pas de Ouaset comme capitale du Pays.
Bien qu’il n’y ait à l’heure d’aujourd’hui aucunes pistes archéologiques qui puissent expliquer ce revirement dans l’organisation politique, l’on peut émettre une hypothèse en partant de l’observation des sociétés « traditionnelles » africaines subsahariennes : les fidèles de Râ ont cherché à se débarrasser des anciens Prêtres Princiers, gardiens des Secrets et attachés à une certaine tradition de Rites, pour les remplacer par une nouvelle catégorie de Prêtres sélectionnés sur un autre critère que celui du sang. Dis autrement, ils ont dévoyé les Rites par usurpation des Titres et provoqué la fuite des Secrets.
Deux Hapy scellant la 2e Sema Taoui
Un autre exemple plus tardif selon la chronologie de Manéthon où Set fut mis en avant : la Dynastie des Ramessides (de -1295 à 1187 av J-C), d’abord avec Sethy 1er dont le nom signifie « Celui qui appartient à Set », puis, Ramses II, qui établit sa capitale de règne, Pi-Ramses, dans la région d’Avaris, berceau des Ramessides et ancienne capitale des Hyksôs, là où un temple à l’honneur de Set fut érigé.
Petrie n’est pas le seul à mettre en évidence cette lutte politico-alchimique plus vieille que la création de Kemet. Albert Slosman, également souligne cette lutte que les neterou se menèrent à travers les hommes. Il identifie 2 camps, « les Serviteurs des Temples de P’tah », la race des fidèles d’Hor et « les Adorateurs du Soleil, Râ », la race honnie des descendants des Rebelles de Set. Harris Geraldine quant à elle attribue le peu de présence de Ptah dans la littérature de l’Ancien Empire, au fait que les suivants de Râ étaient les principaux rédacteurs de ces archives et étaient connus pour être jaloux de P’tah. Runoko Rashidi qualifie la Dynastie des Ramesside de Dynastie solaire.
Un point par rapport aux travaux de Petrie, bien qu’il considère que les fondateurs d’Anu sont les rekhytu, on peut penser d’après la forte ressemblance au nom Anu qu’elle est plutôt de leur fait, c’est en tout cas dans ce sens que Cheikh Anta Diop, à partir des travaux d’Amélineau, ira. Il est possible que Petrie à son époque ignorait la cosmogonie de Râ sinon il n’aurait pu attribuer aux rekhytu qu’il considère comme les vrais gardiens de la Tradition la construction d’Anu. En effet, l’on aura remarqué que lorsqu’on fait mention de Set, on retrouve Râ, détail non négligeable dont des éléments explicatifs résident dans la cosmogonie d’Anu.
Bien que Râ ne soit pas le neter natif d’Anu (Héliopolis), il est assimilé d’une façon quasi parfaite avec les deux neterou que sont Kheperi et Atoum, qu’il serait presque surprenant aujourd’hui de les séparer. Ainsi la cosmogonie de Râ se confond à celle de Atoum puisqu’ils représentent les faces d’une même médaille.
Dans la cosmogonie de Râ, il existe des faits notables qui méritent notre attention.
– Râ est considéré comme le neter des neterou.
– Lorsqu’il est attaqué par le serpent Apop (Apophis) durant son parcours sur sa barque solaire, parmi les neterou qui viennent à son aide, il y a Set.
– Pour retrouver son époux disparu, Ousir, et sauver son fils, Hor, de la mort, Aset eut besoin de la magie contenue dans le nom secret de Râ, elle mit au point un piège qui le blessa afin de le récupérer.
– Constatant que Râ s’affaiblissait avec le temps, les humains ont décidé de se révolter contre lui. Prenant conscience de cette idée qui se répandait parmi les humains, il envoya Sekhmet déchaîner toute sa fureur contre les humains. Constatant la fureur de Sekhmet dans la réalisation de cette tâche, il reviendra plus tard sur sa décision en la stoppant à l’aide d’un piège.
– Après le meurtre commis par Set sur Ousir, une dispute entre Hor, le successeur légitime, et Set éclata, ce dernier refusant de laisser son neveu monter sur le trône. Bien que l’Énnéade (l’Assemblée des neterou) était en faveur du respect de la Tradition qui devait logiquement placer Hor sur le trône de Kemet, Râ s’y opposa privilégiant Set, créant ainsi une grande période d’instabilité.
– Une fois le trône de Kemet abandonné, Râ s’est retiré dans une contrée au-delà des limites du fleuve sur lequel progressait sa barque. Un lieu que nul peut atteindre.
Avant de conclure sur la cosmogonie de Râ, faisons un bref saut à Sumer.
Comme l’ont montrées les découvertes archéologiques et l’étude des squelettes, la population fondatrice de Sumer était similaire à celle qui a occupée pendant longtemps Kemet et dont les premières traces se trouvent au sud du Nil. Cette population pourrait-elle être une partie des Anu dont Rashidi dit que leur nom se retrouve jusqu’en Asie ? Sans que nous puissions pour l’instant répondre avec exactitude à cette question, des éléments y invitent.
Dans le bestiaire sumérien, il existe une divinité possédant des points communs avec Râ, divinité nommée Anu. Anu est la plus grande puissance de l’univers, source de toute existence et le souverain de tous les dieux sumériens. Il a deux fils Enlil et Enki. À l’instar de la trinité Petah-Ousir-Sokar, Enki est considéré comme le dieu bienfaisant, celui qui règle les problèmes entre dieux et humains, c’est sur demande des dieux qu’il créera l’humain afin de le faire travailler pour les dieux. Il est considéré comme l’être le plus intelligent comme en témoigne de nombreux récits datant de cette époque. Il demeure en Apzu, lieu similaire à Abdju, domaine de vie d’Ousir à Kemet.
Contrairement à Enki, Enlil, qui pourtant lui est supérieur dans la hiérarchie des dieux sumérien, est un dieu colérique, impétueux et sombre. Le succès d’Enki auprès des autres dieux attisera sa jalousie. Dans sa description, Enlil est assez similaire à Set, mais à la différence de ce dernier, il succéda à son père Anu, et devint le Roi de Sumer. Statut qui échappa à Set malgré l’intervention de Râ.
Anu, tout comme Râ, est décrit comme vivant au-delà des cieux, son nom servit ensuite à désigner de façon métaphorique les cieux. Et comme dans la cosmogonie de Râ, Anu à travers son fils Enlil sanctionna les hommes lorsque ces derniers se rebellèrent contre les dieux pour lesquels ils devaient travailler après qu’Enki leur ait appris les premiers éléments de civilisation. L’assyriologue Anton Parks associera d’ailleurs la chute de l’homme dans la genèse biblique à cette rébellion et Enki au serpent biblique.
Ce parallèle qui met en évidence une contradiction entre Sumer et Kemet est plus que troublant puisqu’on a faire à une même population ayant une conception de l’existence contraire, les sumériens se considéraient comme des esclaves des dieux, et faisant intervenir dans leurs mythes des personnages similaires et dont un lien semble exister entre Râ, la ville d’Anu, la similitude avec la plus haute divinité Sumérienne Anu et le groupe ethnique nommé Anu.
Un dernier point, Râ est considéré comme le neter du soleil, mais cette association n’a pas toujours été, c’est durant la 2e Dynastie, lorsqu’il commença à prendre de l’influence que cette association sera faite lorsqu’il sera lié à Atum. Ainsi avant la 2e Dynastie, Râ est un neter mineur sans grande influence et importance. L’on peut d’ailleurs faire une remarque, si l’on considère que Râ est le terme désignant le Soleil, le neter qui lui fût associé durant la 2e Dysnatie devait avoir un autre nom avant cette association, peut-être le nom secret qu’Aset lui arracha dans sa cosmogonie.
Au vu de tous ces éléments, où Râ semble être un protecteur de Set, l’on peut se poser des questions sur ce neter, qui en plus de ne rien avoir apporté aux hommes contrairement à Ptah, a participé à leur massacre et dont les fidèles ont été les initiateurs de la déstabilisation de Kemet. Et aisément comprendre cette lutte qui a pu s’engager entre deux clergés, pour les prêtres affiliés à Hor et donc fils de Ptah-Ousir-Sokar, c’est une insulte que d’avoir à la tête de Kemet un clergé qui met en avant le principe du chaos responsable de la mort d’Ousir.
En conclusion, Kemet a toujours porté les germes de sa déstabilisation qui nous apparaissent plus clairs et nous invitent à une réflexion, puisqu’au delà des confections théologiques qui dérivent en mythes, la Guerre des neterou est une réalité qui nous force à devoir reconsidérer le regard et le rapport qu’on pourrait envisager entretenir avec ceux-ci par delà le temps.
SOURCES:
Goerge Hart, « A Dictionnary of Egyptian Gods and Goddesses »,1986, Routledge & Kegan Paul Inc.
Runoko Rashidi, « CentMille Ans de Présence Africaine en Asie », ÉditionsDagan.
Messod et Roger Sabbah, « Les Secrets de l’Éxode »,2000, Le Livre de Poche.
Samuel Noah Kramer, « L’histoire commence à Sumer », 1993, Flammarion.
Cheikh Anta Diop, « Nations, Nègres et Culture », 1954, Présence Africaine.
IvanVan Sertima, « Egypt Revisited », 1989, Ivan Van Sertima.
NadineGuilhou & Janice Peyré, « La Mythologie Égyptienne »,2005, Marabout.
AntonParks, « Eden », 2011,Éditions Nouvelle Terre.
W.M Flinders Petrie, « The Making of Egypt », 1939, Macmillan.
Stephen Quirke, « The Cult Of Ra », 2001, Thames & Hudson.
James Henry Breasted, « Vol.1 The First to the Seventeenth Dynasties », 1906, The University of Chicago Press.
Geraldine Harris, « Gods andPharaohs From Egyptian Mythology », 1996, P. Bedrick
Albert Slosman, « Le Livre de l’Au-delà de la Vie », 1976, Baudouin.