On ne naît pas noir, on le devient. Les métamorphoses d’une idéologie raciste et esclavagiste paru chez l’Harmattan en 2007, c’est la prise de parole autorisée d’un africain décidé à déconstruire avec méthode et rigueur les imaginaires et soubassements du racisme judéo-chrétien qui a mené aux servitudes cumulées, banalisées, normalisées des nègres dans un monde dominé par l’Occident blanc. Un ouvrage rafraîchissant qui tombe à pic alors qu’une certaine afrocentricité de supermarché, animée par la boulimie du lucre et singulièrement inapte à produire quelque consistance discursive que ce soit, tend à ombrager la qualité des contributions intellectuelles des africains et afrodescendants exemplifiée par Cheikh Anta Diop parmi d’autres éminents.
Dans «On ne naît pas Noir, on le devient» Pierre Ndoumaï, qui a enseigné l’histoire de l’église et l’hébreux biblique revient à la genèse des textes talmudiques et chrétiens qui nourrissent une haine viscérale du Noir et la définition de ce dernier comme prototype du péché, du mal, de la laideur.
Les discours afro-pessimistes qui trouvent encore plusieurs adhérents à travers le monde puisent à profusion dans les stéréotypes et les clichés conçus au cours de l’histoire sur les Noirs. La raison fondamentale de cette chosification des Noirs au cours de l’histoire se trouve être l’idée suivant laquelle les Noirs seraient maudits à la suite de leur soi-disant père Cham.
La première mention de cette idée se trouve dans les écrits talmudiques. La négritude y est perçue comme la conséquence de la malédiction et équivaut à la laideur. Cette idée est une interprétation d’un texte de la Bible, à savoir Gen 9, 18-27, où il est pourtant question de la malédiction de Canaan et non pas de Cham. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette interprétation fantaisiste de la Bible qui a donné lieu à une idéologie funeste a eu et a encore des conséquences désastreuses dans la vie des Noirs. Celle-ci a été transmise aux chrétiens, car elle est présente dans les écrits de certains Pères de l’Eglise ancienne.
L’idée a fait son chemin et a atteint le Moyen-âge où elle a été très bien accueillie. En effet, après des vagues de pestes qui ont dévasté l’Europe, celle-ci était dans un très grand besoin de la main d’œuvre. C’est ainsi que l’idée que les Noirs en tant que descendants de Cham seraient maudits et mériteraient d’être réduits à l’esclavage a été donc saluée par l’Europe supposée être chrétienne. La religion chrétienne et la science ont été appelées à la rescousse pour justifier l’infériorité des Noirs par rapport aux autres races, le but étant de montrer que même naturellement, le Noir est déterminé à l’infériorité et à l’inutilité comparativement aux autres races en général et au Blanc en particulier.
En effet, plusieurs papes ont cautionné la soumission des Noirs à l’esclavage par leurs bulles pontificales. Du côté de la science, l’anthropologie, l’ethnologie, l’égyptologie, la linguistique pour ne citer que ces quelques exemples, ont été manipulées pour parvenir à l’exécrable but de démontrer par une pseudo-science, l’infériorité, voire l’inutilité des Noirs.
A cela, il faut ajouter la symbolique des couleurs qui a favorisé depuis le Moyen-âge le cumul des préjugés, stéréotypes et clichés sur les Noirs. La couleur noire était perçue comme le symbole du deuil, de la souffrance, du malheur, de la laideur, bref tout ce qui est négatif et odieux, tandis que la couleur blanche était le symbole de l’innocence, de la beauté, du bonheur, bref tout ce qui est sublime et parfait, donnant ainsi un écho très favorable aux commentaires des écrits talmudiques. Il s’ensuit que lorsqu’on parle de l’homme noir, on ne se réfère pas à la couleur de sa peau, mais plutôt à ce qui se cache derrière la couleur noire. Il s’agit bien entendu des préjugés, stéréotypes et clichés qui remontent à l’esprit et non pas la couleur de sa peau qui, loin d’être en réalité noire est plutôt brune. La condition actuelle des Noirs à travers le monde ne peut ignorer les séquelles non seulement des traitements inhumains dont ils ont payé les frais, mais aussi du regard méprisant et humiliant jeté sur eux, bien que basé sur une idéologie mensongère.
L’esclavage n’a pas été l’unique forme d’exploitation des Noirs car le colonialisme et le néocolonialisme qui s’en inspirent sont autant d’outils de chosification et d’exploitation. Il convient de souligner que même l’évangélisation de l’Afrique s’est faite sous l’angle de la théologie de malédiction. Il était question d’aller arracher les pauvres fils de Cham des griffes du diable. Et d’ailleurs à Vatican 1 (1869-1870), un groupe d’évêques s’est approché du pape avec un postulatum pour solliciter que le saint père lève la malédiction qui pèserait sur les misérables fils de Cham.
C’est aussi le lieu de noter que même si les Noirs ont été maltraités, exploités, méprisés, et chosifiés injustement au cours de leur histoire récente, il reste qu’ils sont en partie responsables de leurs malheurs. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer la dictature, la gabegie, la corruption, les coups d’état, le népotisme, le bourrage des urnes, les guerres civiles, le grand banditisme, etc. qui minent l’existence humaine aux pays des Noirs. Les auteurs de ces vices sont les Noirs eux-mêmes, quoique généralement instrumentalisés, installés ou tenus en joue par le néocolonialisme. Ce faisant ils sont devenus des loups pour d’autres Noirs.
La réflexion menée dans «On ne naît pas Noir, on le devient» débouche sur l’appel à une prise de conscience à un double niveau :
– L’Occident se doit de réaliser que l’idéologie de la malédiction des Noirs est une théorie erronée même si on a voulu à tort impliquer la Bible et la science pour la justifier. Il est par conséquent important de se défaire des préjugés, stéréotypes et clichés qui sont les métamorphoses de cette funeste idéologie pour considérer le Noir à sa juste valeur, rien de moins qu’un être humain comme les autres. Ni un quelconque déterminisme génétique, ni les effets d’une quelconque malédiction n’ont d’effet sur l’existence des Noirs. Le Noir n’est pas déterminé à la naissance comme on a voulu l’insinuer. Il est un être humain libre et capable de se réaliser comme les autres.
– Les Noirs de leur côté se doivent tout d’abord de comprendre qu’il est de leur responsabilité de montrer aux autres qu’ils ne sont pas moins humains qu’eux, en se comportant de manière responsable. Il faut cesser de donner des munitions aux afro-pessimistes en favorisant une culture vicieuse qui ne fait qu’enfoncer le continent noir dans le sous-développement. Il faut résister à l’idéologie qui prône l’infériorité des Noirs en s’engageant résolument sur la voie du développement intégral et durable et en dénonçant toute pratique qui se situe aux antipodes de ce noble but.
Les contingences et vicissitudes de l’existence sont allées à l’encontre des intérêts des Noirs, mais ensemble qu’on soit Blanc, Jaune ou Noir, nous pouvons dans le coude-à-coude nous opposer à toute idéologie ou pratique qui s’attaque à la dignité humaine et travailler ensemble en vue de la réalisation du plan du Créateur qui est de voir chaque être humain se réaliser en devenant heureux.