Chez les Basaâ, le koo est la confrérie consacrée et réservée aux femmes. koo signifie «escargot». L’escargot est hermaphrodite, c’est-à-dire qu’il est à la fois mâle et femelle, produisant spermatozoïdes et ovules avec la capacité de s’autoféconder. Il faut remarquer que la coquille de l’escargot montre une forme spiralée. Hermaphrodite est un personnage de la mythologie grecque fils d’Hermès et d’Aphrodite. Hermès est une forme grécisée de Djehouty (Thot), le neter incarné dans la Sagesse. Hathor (Hout-Horo) deviendra l’Aphrodite des Grecs; à cette dernière, les grecs ont attribué l’amour, la beauté, la germination et les plaisirs. Nous croyons qu’il s’agit d’une déformation des rites kémites koo (Basaâ) et mevungu (Ekañ). Koo, on l’a dit désigne l’«escargot», le terme mevungu est formé à partir des locutions mevul, « la toison pubienne », et ngul, « force, puissance ». « L’initiation mevungu, écrit Pierre Alexandre, avait pour résultat de créer un lien solide entre toutes les femmes mariées d’un village qui, en raison des règles d’exogamie clanique, appartenaient obligatoirement à un ayoñ différent de celui de leur mari » (Pierre Alexandre, Proto-histoire du groupe Beti-Bulu-Fang…, dans Cahiers d’études africaines, p.520).
C’est avec Philippe Laburthe-Tolra que nous obtenons une description ethnologique du rituel mevungu : « On célébrait le mevungu quand le village devenait dur (aled a une connotation de résistance, d’égoïsme, de sécheresse). (…) Du temps que je vivais, nos mères avaient une cérémonie : mevungu. Si je ne trouvais aucun animal dans la brousse, je les appelais : “Ce village est dur, faites votre cérémonie”. (akèn). Alors on prenait la cendre de toute une journée, on en faisait un paquet. Elles disaient : “Celui qui arrête les animaux, s’il continue, qu’il meure”. Et on transperçait le paquet de petites flèches de raphia. Dès qu’elles avaient fait cela, le gibier remplissait le village. Seules les vieilles mères savaient cela. Maintenant que c’est divulgué, je meurs de faim-de-viande (ozàn). (Michael Mve Meyo, Mekamba, 6/2/1967). Tel est l’essentiel du rituel vu par un vieil homme initié. Autour de Minlaaba, c’est d’abord le manque de gibier qui amenait les hommes à demander le mevungu aux femmes. (…) On peut s’étonner de cette association des femmes à la chasse : mais fécondité des femmes et fécondité de la brousse se rejoignent. Si l’on compare le fœtus à une antilope prise au piège dans le ventre de sa mère, réciproquement, les pièges sont pourvus d’une puissance génésique issue des ancêtres et de la nature; c’est aussi de la nature et des ancêtres que la femme tient sa fécondité, donc des mêmes instances. Si la femme est effectivement féconde, c’est qu’elle est efficace auprès de ces instances (or le mevungu est entre les mains des femmes les plus fécondes). (…) Le mevungu se faisait aussi en d’autres circonstances fâcheuses se ramenant au manque de fécondité et de fertilité : Quand rien ne pousse, qu’aucun gibier n’est pris au piège, que les femmes sont malades ou stériles, le mevungu rétablissait la situation (Pierre Ndi, mvog Nnomo, 18/9/1967). (…) Le mevunguapparaissait comme un moyen de protection et d’élimination des maléfices aux yeux de tous.
(…)Comme le Sô qui comprenait deux degrés principaux, le mevungu connaissait deux catégories d’initiées : la plus large regroupait l’ensemble des femmes mariées (on ne pouvait vraiment être intégrée au mevungu sans être mariée); celles-ci étaient toutes invitées lors de la cérémonie; mais toutes n’étaient pas admises au rituel secret, effectué entre femmes réputées pour leurs capacités d’enfantement (et donc déjà mères), et auquel les jeunes candidates, mvòn mevungu, étaient préparées à Minlaaba par une réclusion solitaire de neuf jours (…). Le dixième jour, la candidate était tressée, parée, fardée de bâ[1]. Toutes étaient réunies autour de la cheftaine qui leur donnait les interdits du rite, en particulier celui de ne pas commettre l’acte sexuel de jour (ce qui équivalait à rendre l’adultère difficile, sinon impossible). (…) Les secrets concernaient : 1) la composition même du paquet du mevungu; 2) les détails de la cérémonie d’où ce paquet tirait sa force. En ce qui concerne le paquet, la femme qui voulait faire le mevungu chez elle s’adressait à une spécialiste, mère du mevungu. A Minlaaba, Agnès Ngono se rappelle que sa propre mère était allée chercher (vers 1900?) Bandolo Suga, femme d’origine mvog Nnomo en mariage chez les Esom, et l’avait installée dans sa case sur un lit de bambou. Bandolo avait apporté ses herbes et écorces dans un sac (mfàg) analogue à celui de mfàg so. (…) Avant d’être fractionné, le paquet doit être fécondé par le rituel qui va durer toute la nuit. C’est là que vont intervenir les candidates, autour de la créatrice du paquet qui est une femme ne fréquentant plus les hommes, c’est-à-dire ménopausée mais ayant fait la preuve de sa fécondité.
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