La communauté noire issue de l’esclavage représente un poids important dans la société portègne du Río de la Plata, tout au long du 19e siècle et jusqu’au début du 20e siècle. La fin du régime de Juan Manuel de Rosas en 1852, régime qui lui était favorable, marque le début du lent déclin de cette population noire dans le Rio de la Plata, jusqu’à sa quasi disparition de l’Argentine dans le début du 20e siècle. (Cette disparition questionne les historiens: Guerres dont les bataillons seront composés d’esclaves noirs et dont peu reviendront, épidémies, rejet croissant des noirs dans la société, métissage, etc.) Les musiques et les danses de cette communauté noire constitueront l’un des piliers fondamentaux de la genèse du tango.
Premièrement, le terme lui-même, tango, qui circule depuis longtemps dans toute l’Amérique atlantique, du golfe du Mexique au Río de la Plata, est peut-être d’origine noire (le terme tambo pour désigner un lieu ou un lieu de réunion existe antérieurement dans la langue quechua). Le terme connaîtra différents sens, qui tous, sont marqués du sceau de l’esclavage, des Noirs et de l’Afrique :
- En langue kongo, il signifierait « lieu fermé », lieu dans lequel il faut être initié pour entrer et où se pratiquent des rituels et les tambours. Par antonomase, le terme aurait ensuite désigné les tambours eux-mêmes, puis la musique produite par ces tambours2.
- Le négrier appelait tango l’endroit où il parquait les esclaves avant l’embarquement. Plus tard, en Amérique, on appela tango le lieu où on les vendait. Divers sens apparaissent ensuite, comme: le lieu clos où l’on entreposait les tambours, puis enfin: Bailes de tangos : les danses et les jeux de tambours des noirs.
- En 1788, une autorité de Buenos Aires considère scandaleux « que l’on ait permis depuis quelques années jusqu’à nos jours, à la multitude de Noirs libres et esclaves qui vivent dans cette ville, de se réunir pour faire leurs tambos et danses à l’extérieur de la ville, contrevenant aux lois divines et humaines » (Novati).
- À Montevideo en 1806, la municipalité s’énerve contre les “tambos bailes de Negros”, “los Negros con el tango”, et en 1816, à plusieurs reprises : « Se prohiban dentro de la ciudad los bayles conocidos por el nombre de tangos2. »
Mais, avant la fin du 19e siècle, le tango ne renvoie pas encore à une forme musicale ou dansée définie, mais à des musiques et des danses très diverses, plus au moins ritualisées, pratiquées par les populations d’origine noire. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Tango_(danse)#Les_origines_noires_du_tango)
Suite à un travail minutieux qui a duré plusieurs années, les chercheurs de l’UNLP ont déterminé la provenance du tango qui, selon leurs affirmations “fut lié à la présence des descendants des africains esclavisés dans la ville de Buenos Aires”.
Les recherches étaient menées par la Chaire Libre des Études Afroargentines et Afroaméricains dirigée par le diplômé en Anthropologie Norberto Pablo Cirio. Les résultats seront présentés lors de l’exposition “Retumba Tango. (Redécouverte de la provenance noire de notre musique”, qui se tiendra au siège du Musée des Instruments Musicaux Emilio Azzarini, de l’UNLP.
Cirio explique que “en Argentine, on n’a jamais beaucoup insisté pour identifier les origines ou l’influence africaine du Tango; au contraire, on a toujours tenté de rendre invisible ou d’occulter cette réalité”. Il va plus loin: “Pour notre orgueil blanc européen, cela représente un caillou dans la chaussure, une tache congénitale que l’on a tenté, sinon de l’éliminer, du moins de cacher sous le tapis. L’ Argentine ne se différencie pas du reste des pays américains parce qu’elle n’a pas de population noire, mais parce qu’elle ne l’a pas reconnu comme partie intégrante et vivante de notre configuration sociohistorique et identitaire”.
Cependant, on a pu redécouvrir, grâce à la recherche, cette provenance noire de notre musique et la mettre en valeur comme un “acte de revendication historique ” d’une communauté qui même jusqu’à pésent, continue de lutter pour sa reconnaissance.
La recherche de Cirio s’appuie sur d’anciens documents et des récits de la traditions orale, des partitions, des images et surtout des entrevues des descendants de noirs esclaves eux mêmes, originaires d’Afrique.
“Il y a une immense quantité de documents qui rendent compte de la présence noire dans le tango”, assure le chercheur. Comme exemple, il signale que les paroles du tango “El Entrerriano”, qui marque le début de la dénommée Guardia Vieja (Vieille Garde), fut composée en 1897 par Rosendo Mendizábal, un compositeur afroargentin descendant de noirs esclaves. Et il poursuit : “même si la majorité des gens ne le savent pas, le célèbre pianiste, compositeur et chef d’orchestre, Horacio Salgán, a des origines esclaves; pareil pour Guillermo Barbieri (grand-père de l’actrice Carmen Barbieri), qui fut compositeur et aussi guitariste de Carlos Gardel”.
Concernant les rythmes ayant donné naissance au Tango, Cirio signale les comparses et les candombes afroporteños du 19e siècle, qui constituèrent un des éléments fondanmentaux du genre qui bien évidemment inclut l’instrumentation européenne et les danses de salon.
Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga (http://guyzoducamer.afrikblog.com)