La publication le 18 septembre 2007 du rapport d’expertise de l’ARTAC coordonné par le Pr. Belpomme (cancérologue), a remis sous le feu des projecteurs les problèmes liés à l’utilisation intensive de pesticides pour la culture de la banane dans les Antilles françaises.
Cette pollution, avérée depuis longtemps et que plus personne ne cherche à nier, a été dénoncée pour la première fois en 1977. Depuis, il n’est pas une année sans que ne soit établi un nouveau rapport, mais les mesures concrètes de protection des populations locales et de l’écosystème des îles se font attendre !
Pour autant, le scandale autour du seul chlordécone ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : On sait en effet que la Martinique est polluée par plus de cent pesticides, Que la contamination des eaux de rivière, notamment par des insecticides interdits depuis plus de 10 ans, est présente pour des siècles, Qu’il en est de même pour les sols …
Et puis il y a tout ce qu’on ne sait pas : Toutes ces incertitudes qui émaillent les différents rapports d’experts quant à l’étendue des pollutions, l’impact sur les chaînes alimentaires et en terme de santé publique, comment évolue le chlordécone in situ, son comportement au contact d’autres polluants chimiques (effets synergétiques), comment il pénètre dans les racines des plantes, … et surtout comment dépolluer ces îles …
Le Professeur Belpomme a bien résumé en quelques mots simples la situation : S’agissant de la Martinique, il a déclaré : « c’est l’ensemble de l’île qui est polluée : non seulement l’eau, mais aussi les sols et l’alimentation : » ! Pollution intense et durable des sols des bananeraies, pollution diffuse de l’eau, … et pourtant on continue à utiliser massivement des produits phytosanitaires, alors qu’on ne maîtrise ni leurs effets à long terme sur l’environnement, ni surtout leurs effets sur la santé humaine !
Petit rappel historique des faits
A l’issue de la seconde guerre mondiale, dans une ambiance de pénurie alimentaire et de fort retard dans ses techniques et ses rendements agricoles, la France va promouvoir un modèle d’agriculture productiviste, intensive, gourmande en produits phytosanitaires issus de l’industrie chimique, et fortement mécanisée, afin d’assurer son autosuffisance. Existant depuis les années 1930, la culture de la banane aux Antilles va être développée, intensifiée et encouragée par le pouvoir politique. Elle deviendra exportatrice à la fin des années 1950. Aujourd’hui, cette activité est essentielle à l’économie locale, indispensable pour le maintien d’une activité économique et de l’emploi. Le cout de revient de la banane antillaise est presque deux fois plus élevé que celui des bananes produites en Amérique centrale (cout de la main d’œuvre moindre, taille supérieure des exploitations favorisant une hyper-mécanisation, climat et terres plus propices, …) ; aussi la banane antillaise est-elle devenue au fil des années une activité fortement subventionnée, mais tel est le prix pour conserver un tissu économique et social dans ces îles. La banane est un produit fragile à cultiver et victime de nombreux ravageurs, d’où l’utilisation intensive de traitements phytosanitaires appliqués au sol ou par largage aérien. Elle nécessite en moyenne 5 à 6 traitements par an. C’est une culture pratiquée essentiellement sans rotation, ce qui explique que les sols soient intensément pollués par plusieurs polluants qui ont été utilisés successivement dans le temps. Selon F. Nicolino et F. Veillerette , les modes de culture de la banane sont à ce point intensifs et agressifs aux Antilles, qu’il faut laisser la terre se reposer tous les 5 à 7 ans. Une autre plante nécessitant moins d’entretien est plantée pendant cette période, ou bien les planteurs laissent ces terrains à disposition de leurs ouvriers pour leurs cultures familiales. Une estimation de 1997 évoque une moyenne de 70 kg de pesticides déversés par an et par hectare en Martinique !
L’utilisation massive de produits phytosanitaires pour la culture de la banane n’est donc pas un phénomène récent : Au début des années 1950, on a recours au beta-HCH (insecticide), à la fin des années 1950 on utilisera des insecticides à base d’aldrine et de dieldrine, qui seront abandonnés au bout de cinq à six ans d’utilisation par suite d’accoutumance des insectes aux produits. Dans les années 1960 à 1972, on va disperser du lindane et du HCH, de 1972 à 1993 on va utiliser massivement du chlordécone (insecticide) sous les appellations commerciales de Képone et Curlone. Des années 1960 à juillet 2007, on va répandre du Paraquat, herbicide. Le Mirex, anti-fourmi, sera utilisé à la Guadeloupe tant dans les exploitations agricoles que dans les jardins privés ; or le Mirex se dégrade en chlordécone …
Ce court inventaire des produits et substances utilisés m’amène à formuler deux petites remarques :
Cette liste est loin d’être exhaustive si l’on considère que l’on a recensé la présence régulière de plus de 100 pesticides dans l’environnement martiniquais …
Sachant que l’on ne trouve que ce que l’on cherche, qu’il n’existe aucun document recensant depuis les années 1950 les produits utilisés et les lieux de leur utilisation, que lors des analyses d’eau on recherche 260 substances environ, il n’est pas totalement irréaliste de penser que d’autres produits se trouvent peut-être dispersés dans l’environnement antillais sans que nous le sachions car aucune recherche n’a été menée pour les détecter. De même, les produits issus de la dégradation de certaines substances étant méconnus, comment pourrait-on en détecter la présence et en mesurer la dangerosité ?
Les deux produits emblématiques de la pollution environnementale qui sévit en Guadeloupe et Martinique sont le chlordécone (appellations commerciales Képone et Curlone) et le paraquat.
Le chlordécone
C’est un insecticide organochloré de la même famille que le DDT et le lindane, qui a été utilisé jusqu’en 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. C’est une substance très stable, se dégradant difficilement, synthétisée en 1952 et commercialisée en 1966 sous le nom de Képone. Elle a entre autres propriétés intéressantes, celles d’être peu soluble dans l’eau, peu volatile, d’être thermiquement stable (il faut atteindre des températures supérieures à 450-500°C pour la dégrader), de s’associer volontiers à la matière organique des sols et sédiments, ce qui constitue des puits de chlordécone contaminant les eaux et l’atmosphère. Le problème de rétention du chlordécone dans les sols antillais est favorisé par le climat tropical, chaud et humide : la présence d’eau facilite la liaison du chlordécone avec les matières organiques, la température modifie les qualités de solubilité du pesticide. En résumé, toutes les conditions sont réunies pour que le chlordécone s’implante durablement dans l’environnement local. En 1976, la fabrication du chlordécone est interdite aux Etats-Unis, du fait de sa dangerosité tant au niveau humain qu’environnemental … mais paradoxalement les autorisations de vente et d’utilisation de ce produit seront renouvelées aux Antilles entre 1981 et 1993, et ce, malgré le degré de toxicité et le caractère de persistance désormais connus du produit. Pour la population, il y a risque majeur de contact par voie alimentaire ; pour les travailleurs des bananeraies, il faut ajouter les expositions par voie aérienne et cutanée (produits manipulés sans réelle protection, et surtout largages de traitements par avion alors que les ouvriers travaillent sur les plantations !). Quelle est la nature de ces risques pour la santé humaine ? En fait il n’existe que très peu de données connues chez l’homme, hormis des effets neurologiques, des signes d’hépato-toxicité, une atteinte de la spermatogénèse (cause une baisse de fertilité masculine). Il est tout de même classé cancérogène possible chez l’homme en 1979. Sur des animaux de laboratoire on a en outre relevé des atteintes rénales. Pour le reste, des études sont en cours, comme nous le verrons plus tard …
Le paraquat. C’est un herbicide non sélectif à action rapide, commercialisé en 1961 par ICI (Syngenta actuellement) ; Rémanent, persistant et toxique (notamment pour les organismes aquatiques), il a été très employé du fait de son faible coût et de sa facilité d’utilisation. Sur la fiche INRS du paraquat il est spécifié que le produit passe par voie placentaire ; Considéré comme CMR et neurotoxique, il est encore plus toxique que le chlordécone. Il dispose d’une très grande toxicité aiguë par ingestion, et provoque des atteintes digestives, rénales et pulmonaires, mais surtout il y aurait un lien possible entre paraquat et maladie de Parkinson. Sa toxicité est connue depuis 2003, et pour cette raison la Suède avait demandé qu’il soit interdit en 2004 ; Sur demande de la France, l’autorisation de vente et d’utilisation du paraquat a été maintenue jusqu’en juillet 2007.
Maintenant que le décor est posé …
L’affaire arrive à la connaissance du public en 2002 par ce qui pourrait ressembler à un simple fait divers : En octobre 2002 est saisi dès son arrivée à Dunkerque et détruit, un lot de patates douces en provenance de Martinique. Motif : pollution de ces légumes au chlordécone, un dangereux insecticide organochloré utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993. Comment les douanes ont-elles été alertées du fait que ces produits étaient impropres à la consommation ? À ce jour nul ne le sait mais il est établi qu’on les en a informées, ce qui a motivé ce contrôle … qui aurait dû être effectué avant l’embarquement desdites marchandises … Comment ce produit a pu se propager ainsi et polluer les patates ? Le public ne sait rien encore, et pourtant, en 2002, les scientifiques et les politiques disposent déjà d’informations sérieuses sur cette pollution qui ravage, en toute discrétion, la Martinique et la Guadeloupe.
… Et pour un lot de légumes saisi lors de son arrivée en Métropole, combien d’autres sont vendus sur les marchés locaux en dehors de tout contrôle sanitaire ?
Bref, c’est Philippe Edmond-Mariette, député martiniquais, qui va véritablement lancer l’affaire, en demandant en 2003 la création d’une commission d’enquête sur l’utilisation du chlordécone dans les Antilles. En janvier 2004, se basant sur un rapport de l’IFEN confirmant la pollution des eaux martiniquaises et guadeloupéennes par des pesticides, et ce, d’après des prélèvements effectués et analysés entre 2000 et 2002, il rédige une proposition de résolution (Proposition de résolution n° 1288). Déjà à l’époque, le rapport de l’IFEN mentionne, outre la présence dans les eaux de chlordécone, celle de fongicides et d’herbicides, ce qui permet de penser que l’affaire est sérieuse, que l’on se trouve face à une pollution généralisée … Ph. Edmond-Mariette soulève donc « un réel problème potentiel de santé publique » avec sa proposition de résolution n° 1288 ; il demande que soient examinés le degré de pollution des sols et des eaux, que soit mesuré l’impact sur l’agriculture locale et les activités piscicoles, que soit envisagé un dédommagement des victimes de cette pollution.
Ce qui est un peu étonnant, c’est qu’avant la proposition de résolution de Monsieur Edmond-Mariette, les ministres alors en place F. Fillon (travail), R. Bachelot ( environnement), J-F. Mattei (santé) ont demandé la mise en place d’un plan national santé-environnement en septembre 2003, qui sera publié en février 2004, et dans lequel on peut lire : p.28, (quant aux risques liés à la qualité des sols agricoles) : « certains … pesticides [utilisés] se sont … révélés toxiques ou cancérogènes pour l’homme, et, s’ils sont désormais interdits, plusieurs d’entre eux sont rémanents et se retrouvent encore actuellement dans les sols, à l’exemple du chlordécone retrouvé dans des sols de bananeraies en Guadeloupe et de Martinique, dix ans après leur interdiction. » p. 29 : Importance des effets sanitaires et des dommages : « l’emploi de pesticides … [peut] générer des pollutions diffuses dont les principaux risques sanitaires prévisibles résultent de leur transfert vers les plantes cultivées (résidus dans l’alimentation), vers l’eau souterraine (par lessivage …) ou vers l’eau de surface … L’exposition aux pesticides pourrait être la cause de l’augmentation du risque de certains cancers …, de troubles de la reproduction et des effets endocriniens adverses (en particulier infertilité masculine et malformations congénitales de l’appareil génital masculin), ainsi que de troubles neurologiques. » p.65 : Les contaminations chimiques des aliments d’origine environnementale : « … les produits organochlorés [sont] de nos jours interdits car ils se sont révélés toxiques ou cancérogènes, persistent encore actuellement dans les sols de bananeraies en Guadeloupe et en Martinique et dans les légumes cultivés (dachines, patates douces, choux caraïbe, …) dix ans après leur interdiction. »
Bref, on avait déjà posé un diagnostic sérieux dès 2004, qui permettait de prendre un certain nombre de mesures et d’engager un plan de prévention et de suivi de la santé des populations locales. Au lieu de cela, on va continuer à produire des études et des rapports … et à les empiler ! Le dernier en date est celui du Pr Belpomme en 2007, qui synthétise l’état des connaissances actuelles acquises par les précédentes études, propose à la fois la mise en place d’actions correctives et des orientations pour engager certaines recherches nécessaires. Le rapport « Belpomme » met en lumière un grand nombre de dysfonctionnements dans le système d’homologation des substances phytosanitaires, et dans la gestion de la crise ; Il relève que des recherches pourtant pertinentes n’ont pas encore été menées, pointe des résultats d’analyses sujets à caution, des lacunes tant au niveau santé publique qu’au niveau de l’évaluation de la pollution (étendue, compréhension des mécanismes, évolution prévisible dans le temps, …) ; surtout, il ressort de son étude qu’il y a un manque cruel d’information des populations et des médecins, d’esprit de coopération entre les différents organismes, qui permettrait de partager les informations et de coordonner l’organisation de recherches supplémentaires et de mesures de sauvegarde.
Ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas : synthèse succincte des principaux rapports.
L’affaire du chlordécone est évoquée publiquement pour la première fois en 2002 avec la saisie à Dunkerque de légumes contaminés en provenance de Martinique ; Elle démarre réellement en 2004 avec l’intervention du député martiniquais Edmond-Mariette, puis elle retourne subrepticement aux oubliettes même si de nombreux rapports sur cette pollution ont été publiés depuis cette date …
Septembre 2007, rebondissement : Avec la publication de son rapport, le Pr Belpomme alerte un maximum de journaux et télévisions pour obtenir une couverture médiatique aussi large possible des résultats de l’enquête qu’il a menée avec l’ARTAC . Sans doute espère-t-il qu’enfin on prendra le problème à bras le corps puisque l’opinion publique semble désormais plus attentive aux sujets environnementaux, et que les risques en terme de santé publique apparaissent cette fois comme une véritable épée de Damoclès suspendue au dessus de la tête des populations guadeloupéennes et martiniquaises pour plusieurs générations. Du fait de ses avis tranchés, et parce qu’il n’hésite pas à dénoncer le laxisme de certains ou les carences en matière de politique de santé notamment, il ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut ; mais en revanche, le fait qu’aucun de ses propos pourtant virulents n’ait entrainé de plainte en justice … en dit long sur leur plus que probable pertinence ! Et lorsqu’il évoque une « affaire plus grave que celle du sang contaminé » (déclaration reprise par le Canard Enchainé du 19/09/07), oui effectivement je pense qu’il peut le dire, si l’on considère l’étendue de ce que l’on a découvert … et surtout de ce qui reste à découvrir soit parce qu’aucune recherche n’a été engagée sur certains domaines (santé publique, étude des effets synergiques de certaines molécules entre elles et nature des résidus qui en résultent, …), soit parce que les risques, bien que certains, ne se sont pas encore produits (comme pour l’ESB, il y a probablement un temps de latence – dont la durée n’est pas connue – avant que les pathologies ne se déclarent. Et il faut probablement un certain temps ou nombre de contacts avec les polluants pour que des effets sur la santé humaine soient détectables). Le pire est donc à venir, d’autant que nous continuons à utiliser les mêmes méthodes agricoles productivistes qui sont source de cette catastrophe, et le même procédé d’homologation des produits phytosanitaires, qui a pourtant démontré ses nombreuses limites.
Bref, reprenons le fil de cette histoire … Qui n’est pas si simple et ni si limpide, … flash-back donc !
Car la pollution n’a pas été découverte en 2002, comme le voudrait la version officielle … mais en 1977 !
En 1977, parait en effet le « rapport Snegaroff » (INRA) qui établit l’existence d’une pollution des sols des bananeraies et des milieux aquatiques par des organochlorés (eaux et sédiments).
Puis en 1980, le « rapport Kermarrec » aborde le principe de bioaccumulation des polluants dans l’environnement, et relève des taux de contamination élevés dans les tissus des poissons, crabes et crustacés. Parmi les polluant organochlorés dont il a trouvé des traces dans l’environnement, il insiste particulièrement sur l’un d’entre eux : le chlordécone.
En 1993, une étude diligentée par l’UNESCO va étudier le phénomène de rémanence des pesticides dans les eaux ; les prélèvements d’eau alors analysés contiennent tous du chlordécone …
En 1998, le « rapport Balland-Mestres-Fagot » synthétise les connaissances sur la pollution, émet des recommandations et préconise la réalisation de nouvelles analyses pour pouvoir évaluer les risques encourus par l’homme et l’environnement.
En 2001, le « rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe » du Dr Bonan (Inspection Générale des Affaires Sociales), confirme l’existence d’une pollution des eaux, liste les mesures de sauvegarde engagées et celles qu’il juge utiles à prendre, et enfin déplore qu’aucune modification des pratiques agricoles n’ait encore été réalisée pour préserver les ressources en eau. Il demande une modification de la procédure d’homologation des produits phytosanitaires, une traçabilité de leur vente (à qui, où, combien ?), une formation des agriculteurs à leur utilisation ; Il demande également que de nouvelles études approfondissant la connaissance sur les intoxications chroniques aux pesticides soient engagées. Il insiste sur la nécessité d’une meilleure gestion quantitative et qualitative de l’eau. C’est le premier rapport à faire état d’une rumeur de pollution qui circule et inquiète la population locale, et à aborder la politique de communication mise en place par le préfet.
Puis le 6e bilan annuel de l’IFEN (2004) va lui aussi aborder la situation de pollution des eaux en Martinique et Guadeloupe ; après un état des lieux détaillé, il se conclut ainsi : « Dans les départements d’outre mer, les réseaux de surveillance des pesticides sont en cours de structuration. Les résultats [des analyses] font état de niveaux de contamination de la ressource en eaux brutes très préoccupants en Martinique et en Guadeloupe, notamment à cause de la présence d’insecticides interdits depuis plus de 10 ans » !!! Cela se passe de commentaire : nous sommes en 2004, il est question d’une pollution connue depuis 1977, et au détour de ce rapport on apprend entre autres que les réseaux de surveillance ne sont pas encore tous opérationnels, que la lecture des analyses peut être sujette à caution pour certains prélèvements effectués, qu’on ne dispose pas d’une connaissance étendue sur les substances recherchées, leurs mode et produits de dégradation.
Le 30 juin 2005, le rapport d’information n° 2430 de l’Assemblée Nationale est publié. C’est probablement le document le plus fourni, le plus complet et le plus intéressant paru à ce jour ; du reste il sera amplement utilisé par le Pr. Belpomme dans le cadre du travail mené avec l’ARTAC. Ce rapport aborde l’étude de la pollution des Antilles par les pesticides sous des angles nouveaux, jusqu’ici pas ou peu étudiés :
Il revient sur le fait que de très nombreux polluants ont été dispersés dans l’environnement et cohabitent donc selon le principe de leur bioaccumulation dans le milieu, constituant des mélanges jusqu’ici peu recensés, et dont les effets combinés n’ont pas été envisagés ; pour avoir une vision complète de cette pollution, il est donc impératif d’effectuer des recherches sur ces « cocktails » de pesticides. Le seul problème, c’est que du fait du nombre de paramètres et de substance en synergie, ces modèles trop complexes ne sont pas ou difficilement reproductibles en laboratoire …
Il émet un certain nombre de recommandations en vue de pallier aux lacunes, incohérences ou manque de rigueur constatés dans la gestion de cette crise, valables tant pour le règlement de l’affaire en cours, que pour celui de futures atteintes du même ordre :
Se doter de procédures d’évaluation des produits phytosanitaires plus approfondies avant de les autoriser, mais aussi encourager la recherche vers des solutions moins polluantes, moins agressives ; mieux former et informer les utilisateurs ; Soutenir financièrement une recherche nationale forte, promouvoir l’innovation et la recherche fondamentale. Au passage, les auteurs de ce rapport non seulement s’étonnent des conditions pour le moins laxistes d’autorisation de mise sur le marché du chlordécone, mais surtout ils s’interrogent sur les raisons qui ont permis de délivrer des dérogations à l’application de l’arrêté du 3 juillet 1990 (retrait de l’autorisation de vente et d’utilisation du chlordécone), prolongeant ainsi jusqu’en 1993 l’utilisation du chlordécone dans les DOM ; pour la première fois, il est fait état de possibles « pressions » … Hypothèse que l’on retrouve également dans l’excellent livre-enquête de F. Nicolino et F. Veillerette « Pesticides, révélations sur un scandale français »
Une fois une substance homologuée, il faut pouvoir s’assurer de la traçabilité des produits commercialisés, mettre en place des filières de récupération des emballages vides et des produits non utilisés. En cas de retrait du produit, cela donne une plus grande réactivité et permet d’éviter toute utilisation frauduleuse, suspectée dans le cas qui nous intéresse, sans pour autant avoir pu être prouvée.
Il propose de mettre en place un réseau de toxico-vigilance , de collecter le maximum d’informations de santé publique en lien avec l’utilisation de pesticides. Alors qu’en Martinique il existe un registre des cancers qui étudie les cancers suspectés d’être liés avec les organochlorés dans leur survenance, le même registre est inexistant en Guadeloupe ; pourtant la Guadeloupe présente le taux d’incidence du cancer de la prostate le plus élevé au monde ! (Pour information, le taux en Martinique est du même ordre) Le problème est que les scientifiques ne sont pas parvenus à définir l’origine de ces cancers ; aussi on en reste une fois de plus au stade de la « suspicion » de lien « probable » avec les pesticides … Dernier point, et non le moindre : le rapport insiste sur la nécessité de mettre en place un « partenariat renforcé avec les médecins » pour un vrai suivi épidémiologique des populations. On peine à croire qu’en 2005, aucune collaboration avec le corps médical n’ait encore été organisée !!
En 2001, les ministres concernés ont annoncé la création de l’Observatoire des Résidus de Pesticides (ORP), dont la mission est de rassembler les résultats des contrôles et mesures de résidus dans les différents milieux, les produits alimentaires et d’estimer les niveaux d’exposition des populations. Or en 2005, cet organisme pourtant essentiel pour un suivi de qualité des pollutions avérées ou prévisibles, n’est toujours pas mis en place ! Peut-on encore invoquer un simple « manque de rigueur » ou de réactivité, quand des décisions de mise en place d’outils de gestion aussi importants tant au niveau sanitaire qu’au niveau environnemental partent à la trappe ?
Recommandation 9 des auteurs du rapport : il faut se donner les moyens d’assurer un meilleur suivi des règlementations en cours (ce qui sous-tend qu’il y aurait eu quelques dysfonctionnement dans le cas qui nous intéresse ? … Pourtant tous les rapports émanant d’organismes d’Etat soutiennent le contraire …) ; il faut s’assurer de la destruction effective des légumes pollués (aujourd’hui c’est à la charge des agriculteurs-producteurs, alors qu’ils doivent déjà s’acquitter du coût des analyses lorsqu’ils veulent mettre en culture une parcelle polluée. Qu’en est-il de la solidarité nationale dans ce cas ? Les agriculteurs perdent une partie de leur marge bénéficiaire en réalisant à leurs frais les analyses préalables, puis ensuite si la récolte dépasse les seuils de pollution acceptables ils perdent tout bénéfice sur celle-ci et doivent en outre payer pour sa destruction. Ce système pénalisant – car il ne faut pas oublier que les agriculteurs sont les premières victimes directes de cette pollution – n’incite-t-il pas à frauder pour éviter la ruine ?). Mais surtout il faut mettre en place un certain nombre de contrôles encore inexistants : surveiller la pollution des eaux de sources, évaluer les risques des productions originaires des jardins familiaux qui sont directement consommées, ou bien échangées localement ou vendues en bord de route.
Dépollution : dans ce document il est indiqué que la mise place des périmètres de protection obligatoires autour des points d’eau n’est toujours pas généralisée, alors que cette question apparait déjà dans des rapports précédents. Dépollution des sols : « aucune solution de dépollution des sols n’est envisageable à court terme » ; compte tenu de l’importance des surfaces à traiter et des coûts induits, il n’est pas possible d’incinérer les terres polluées, la phyto-remédiation est également impossible (aucune plante connue n’absorbe le chlordécone en quantité suffisante pour nettoyer les sols ; de toute façon le chlordécone n’est pas un produit systémique, ce qui rend inopérante cette méthode). En l’état actuel des connaissances, on ne peut donc espérer que contenir cette pollution, en limiter l’expansion, d’où la nécessité de mettre en place des outils de contrôle performants, et de s’assurer du respect des différents règlements ordonnant la destruction des végétaux pollués.
Ce rapport est on ne peut plus explicite ! Non seulement il dresse un état sans concession de ce qui a été réalisé et surtout de tout ce qui reste à mettre en place pour tenter de contenir l’étendue de cette pollution et contrôler son évolution dans le temps, mais il apporte une réelle valeur ajoutée par ses recommandations et propositions. Le point sur lequel il faut vraiment insister concerne la typologie des lieux pollués : ce sont des îles, donc des écosystèmes fragiles, demandant du temps pour se régénérer ; elles sont de superficie relativement réduite et disposent de quantités de terre agricole restreintes, ce qui signifie que mettre en jachère les terres polluées n’est pas envisageable pour la population. D’un point de vue culturel, il faut prendre en considération l’importance des jardins familiaux, qui constituent une source d’approvisionnement alimentaire non négligeable et quasiment incontrôlable car intervenant hors des circuits commerciaux classiques. Cette pollution à grande échelle constitue une véritable calamité sanitaire et environnementale, et à défaut de pouvoir y remédier, suivre son évolution est donc un impératif de survie.
Je ne vais pas continuer à vous décrire par le menu les conclusions des différentes études réalisées car elles sont fort nombreuses et aboutissent toutes à des incertitudes quant à l’étendue des dégâts constatés, préconisent par conséquent de nouvelles analyses pour éclairer les nouveaux points obscurs que de précédentes analyses ont mis en évidence !!! Juste en quelques mots, signalons :
un rapport d’octobre 2005 de l’AFSSA , « le chlordécone en Martinique et en Guadeloupe », qui étudie l’exposition alimentaire, constituée par le cumul de tous les apports de chlordécone par tous les aliments pouvant en contenir (légumes racinaires essentiellement, végétaux plantés dans un sol contaminé, mais également produits d’origine animale, eau de boisson). On y apprend que si l’épluchage des légumes permet de diminuer la quantité de chlordécone qu’ils contiennent, en revanche il ne l’élimine pas totalement. Par contre ce rapport n’aborde pas les risques inhérents à la consommation de produits contaminés par plusieurs polluants, les effets synergiques de ces contaminations croisées en terme de santé publique.
Un rapport de l’INRA / CIRAD en juin 2006, « pollution par les organochlorés aux Antilles » qui confirme que la pollution par le chlordécone est principalement liée aux pratiques agronomiques de la culture de la banane, mais également aux phénomènes de lent lessivage des sols par les eaux de pluies ou de drainage, et par le labourage qui enfonce la pollution à l’intérieur des sols. Ce rapport remet en question certains échantillonnages effectués pour analyser la pollution : surreprésentation de prise d’échantillons de légumes racinaires au détriment des fruits et légumes aériens, ce qui a pour conséquence que l’on peut ainsi difficilement évaluer le degré de contamination de ces derniers ; sous représentation d’échantillons provenant de jardins familiaux, alors que soit ceux ci peuvent être localisés sur des terrains pollués, soit des produits tels que le Mirex ont pu y être utilisés. La cartographie de la pollution ne peut donc être considérée comme complète. De même, par manque de structures locales, nombre d’échantillons ont été envoyés pour analyse dans plusieurs laboratoires métropolitains qui utilisent des méthodologies différentes, ce qui relativise les conclusions apportées.
Enfin je vous ai gardé le meilleur pour la fin :
Le chlordécone n’a jamais été étudié en conditions tropicales ; donc on ne sait quasiment rien sur son comportement dans l’environnement, ses mutations, ses modes de dégradation et les résidus qu’il produit. Cela fait froid dans le dos si l’on considère la haute toxicité de cette molécule et sa rémanence !
On ne connait pas la conséquence de la cuisson ou de la préparation culinaire sur des produits alimentaires contaminés. Les analyses n’ont jamais porté sur des aliments cuits ou cuisinés !
Et, voici un court aperçu du type de questions existentielles que nos scientifiques se posent encore à l’heure actuelle :
« quel type d’interaction existe-t-il entre la racine [d’une plante] et la molécule de chlordécone ? »
« quelle est la voie de pénétration de la molécule dans la racine ? » … Autres réflexions intéressantes trouvées dans le rapport de l’INRA :
« Actuellement, la voie de contamination des organes aériens [des plantes] doit être identifiée »,
« la synthèse bibliographique réalisée à propos de la chlordécone … [montre] la vacuité du champ de connaissances sur le sujet des relations pesticides / plante, y compris pour des pesticides actuellement utilisés en Europe ».
Bref, non seulement malgré cette pléthore de rapports scientifiques on ne sait pas grand-chose de concret pour lutter contre les effets de cette pollution, mais en plus, on ne remet pas en cause les méthodes d’agriculture consommant intensivement des intrants chimiques. On s’est juste contenté d’utiliser des molécules différentes, dont pour l’instant la toxicité à terme n’a pas été encore prouvée … et on n’a absolument pas modifié la procédure d’obtention de l’AMM malgré toutes les insuffisances et incohérences que l’affaire du chlordécone a dévoilées au grand jour, et malgré toutes les demandes dans ce sens formulées par les auteurs des rapports d’expertise ! On ne sait pas comment la pollution va évoluer dans le temps mais on sait qu’elle va durer pour des siècles ; on ne sait pas comment dépolluer mais on continue à travailler les mêmes terres puisque la taille des îles ne permet pas d’aller cultiver … et polluer plus loin, ou bien de trouver une reconversion économiquement, écologiquement et sanitairement convenables des terrains contaminés.
Ne reste donc qu’à espérer en la science, en l’avancée de ses découvertes futures …
Où en est-on ? Comment envisager l’avenir maintenant ?
Le Pr Belpomme, dans son rapport, note que depuis la parution en 2005 du rapport n°2430 de l’Assemblée Nationale, peu d’avancées ont été faites pour combler les lacunes empêchant de comprendre plus complètement la pollution des îles par les pesticides. Il ne remet pas en cause le personnel d’Etat ou la qualité des rapports produits, mais regrette un manque de moyens en hommes et en matériel. Il regrette également le manque d’information disponible quant à l’étiologie des cancers de la prostate recensés. Pour engager des mesures de dépollution et de protection des populations efficaces, il faut connaitre précisément la nature, la quantité, le nombre de polluants déversés, leur durée d’utilisation, les lieux et modes de traitement … Or, aujourd’hui, en 2007, ces informations ne sont toujours ni connues ni traçables, non seulement pour les produits utilisés par le passé, mais également pour ceux appliqués actuellement.
Autre point rarement abordé, la destruction des écosystèmes des sols par les pesticides a gravement nui à leur fertilité ; or les vers, les micro-organismes vivant dans la terre sont indispensables pour sa régénération et la fabrication de l’humus, qui fournit les éléments indispensables à la croissance des végétaux. Cette politique d’épandage massif de produits phytosanitaires dans un but de maximisation à court terme des rendements agricoles, participe donc à la stérilisation et à l’érosion des sols, en plus de les avoir pollués. Et répercussion logique, les plantes poussant de moins en moins bien, il faut utiliser toujours plus de traitements pour maintenir les taux de rendement à l’hectare. Plus largement, cette pollution généralisée, qui se répercute tout le long des chaines alimentaires (et induit des effets cumulatifs), met en danger l’ensemble de la faune et de la flore, y compris les réserves halieutiques des îles, ses coraux, ses crustacés et ses mollusques. La pollution littorale est certes reconnue mais n’a pas encore été étudiée ; le Pr Belpomme recommande donc qu’un travail d’évaluation de cette contamination soit menée par l’IFREMER .
Malgré le nombre impressionnant de rapports publiés sur cette pollution, des questions importantes restent encore à ce jour sans réponse et nécessitent donc la poursuite de recherches. Une des questions importantes concerne le mode de détermination des VTR (valeurs toxicologiques de référence) : tiennent-elles suffisamment compte des effets cumulatifs des pesticides dans les organismes ? Des effets des contaminations croisées et chroniques ? Leur calcul a été établi en suivant une population d’adultes et d’enfant âgés de 3 ans et plus ; Mais quels sont les effets prévisibles sur les nouveau-nés, les enfants en gestation contaminés par leur mère via le cordon ombilical ?
L’utilisation ou la reconversion des sols contaminés. Elle se heurte à plusieurs problèmes :
La mise en culture de parcelles contaminées : elle reste possible, mais elle est aléatoire car soumise à contrôle préalable des sols, puis contrôle des récoltes avant leur commercialisation, le tout à la charge de l’agriculteur. Si le taux de pollution des produits de la récolte dépasse le seuil maximum accepté, sa destruction est également à la charge du producteur. Ceci est injuste, car on fait reposer la charge financière de cette pollution uniquement sur les agriculteurs, qui n’ont fait qu’utiliser des produits légalement autorisés ; il serait donc logique que le principe de solidarité nationale s’applique ici. Ce système pénalisant seulement les cultivateurs risque de ruiner l’agriculture locale, et d’encourager des fraudes et trafics. Par ailleurs, la méconnaissance de la molécule de chlordécone ne permet pas de se prononcer sur une réorientation de l’agriculture créole vers certains types de végétaux pour assurer une production saine.
La mise en jachère : s’agissant d’une pollution intervenant sur des îles de dimensions modestes et disposant de peu de terres agricoles, les agriculteurs locaux ont peu de possibilités d’exploiter d’autres sols indemnes de toute pollution ; il n’est donc pas envisageable de mettre les terres polluées en jachère, ni en pâturage d’ailleurs, du fait de la bioaccumulation du chlordécone constatées au sein de la chaîne alimentaire.
La reconversion des parcelles a été envisagée vers essentiellement 3 axes : la production de bois, la production de canne à sucre, l’extension du foncier à bâtir.
. La production de bois précieux ne semble pas valorisable du fait d’une concurrence existante et d’un retour sur investissement relativement long ; le potentiel de rentabilité d’une production de bois destiné au bâtiment (bois de charpente, …) n’a pas été évalué, mais de toute façon, il semble impensable de planter des forêts sur la totalité des parcelles polluées car en dehors de toute estimation en terme de rentabilité, cela mettrait en péril l’indépendance alimentaire des territoires et nécessiterait des importations forcément plus couteuses que les productions locales.
. La culture de canne à sucre en vue de produire des agro-carburants est une possibilité avec des débouchés économiques certains, mais on sait désormais que ce type de culture nécessite une forte mécanisation et l’utilisation intense d’intrants, ce qui constituerait une fuite en avant en terme de pollution !
. Reconversion vers le foncier à bâtir : la pression foncière est forte dans les îles, ce qui rend cette possibilité envisageable. Mais cela ne résout ni la pollution, ni les risques d’exposition de la population, surtout si on construit des lotissements avec jardins familiaux que leurs propriétaires cultiveraient en toute innocence pour en consommer les récoltes !
La seule alternative restante serait donc d’indemniser leurs actuels propriétaires et de transformer les terres polluées en espaces verts gérés par l’Etat ; ces terrains pourraient être utilisés pour effectuer une veille scientifique sur l’évolution de la pollution dans le temps, et pour mener des recherches sur des solutions de dépollution et la compréhension des mécanismes de désorption ou de dégradation de la molécule de chlordécone dans les sols. Cette solution aurait un coût énorme, n’est pas génératrice de revenus pour les îles et ne propose aucune solution en terme d’emploi pour les salariés des bananeraies. D’un point de vue strictement environnemental cette solution est intéressante, par contre elle occulte totalement le volet social.
Depuis longtemps nous avons dépassé le cadre de l’application du principe de précaution pour entrer dans celui du principe du pollueur-payeur. Mais qui doit payer ? Et à qui ? Selon une étude récente (Hibiscus) réalisée sur des femmes enceintes en Guadeloupe, chez 90% d’entre elles, on retrouve des traces de chlordécone dans le lait maternel et dans le sang du cordon ombilical. L’étude Hibiscus et quelques autres confirment donc qu’une très forte proportion de la population guadeloupéenne est imprégnée par les pesticides et que cela va également affecter les générations futures. Donc le nombre de personnes potentiellement à indemniser n’est pas quantifiable, mais est très important. Ces populations nécessiteront en outre un suivi épidémiologique à long terme ; Qui assumera ces couts de dépistage et la prise en charge des pathologies imputables aux pesticides ?
Conclusion : Pour la pollution des sols et cours d’eau, il n’existe aucune solution tant qu’on n’aura pas trouvé de mode de dépollution. Les impacts sur la santé humaine ne sont pas encore connus mais on peut d’ors et déjà affirmer qu’une très forte proportion de la population locale actuelle et à venir est concernée, et que les répercussions sur leur santé et la prise en charge des couts inhérents sont des données actuellement inconnues et impossibles à estimer.
Interdiction du paraquat :
Le Paraquat, herbicide terriblement toxique, a enfin ( !) été interdit en juillet 2007 … Mais à ce jour, les stocks de ce produit n’ont pas encore été saisis ni détruits, ce qui signifie que l’on tolère encore son utilisation … L’affaire sur le chlordécone n’aura donc pas servie de leçon !
Une chose est certaine, il n’y a pas qu’au niveau moléculaire qu’un cocktail fatal s’est constitué ; cette crise aura servi de révélateur à un malaise bien plus profond :
une Recherche sacrifiée, dotée de trop peu de moyens, ne disposant pas d’installations locales suffisamment performantes, et qui doit donc se tourner vers de multiples laboratoires métropolitains, ce qui va remettre en cause la cohérence et la fiabilité des résultats obtenus ;
une proximité dangereuse entre cette Recherche et l’industrie agrochimique, qui siègent parfois dans les mêmes instances (l’UIPP par exemple, qui entre dans le processus d’obtention d’AMM), alors qu’il y a manifestement conflit d’intérêt sur un certain nombre de sujets (aspects environnementaux et de santé / aspects économiques, de rentabilité) ;
une collusion entre le politique et le monde de l’industrie chimique qui a eu pour conséquence que les premiers ont fermé les yeux en laissant autoriser des produits sans que des contrôles approfondis ne soient réalisés quant à leurs effets dans le temps, puis en trainant des pieds pour les faire interdire définitivement, ayant entre temps accordé des dérogations de complaisance …
une culture de la banane hautement subventionnée et que l’on poursuit en dehors de toute logique tant économique qu’agronomique ou de Santé publique, uniquement parce qu’elle constitue un garant de la paix sociale artificiellement maintenue dans les DOM, de par l’activité et les emplois qu’elle génère.
Déclarations du gouvernement Fillon II sur le sujet:
Aux dernières nouvelles, Madame Bachelot, actuelle Ministre de la Santé, attend le résultat d’études lancées en 2005 pour se prononcer sur la pollution par les pesticides aux Antilles ; Selon elle, « pour l’instant, le Pr Belpomme pose des questions, il n’apporte pas de réponse formelle » (déclaration sur France Télévision le 19 septembre 2007). Donc en résumé elle propose de poursuivre la démarche menée jusqu’ici : surtout, NE RIEN FAIRE et attendre !!! Pourtant, il existe un faisceau de présomptions suffisamment étayées, plus graves les unes que les autres, qui se confirment et se complètent. Peut-on encore douter ? Peut-on encore attendre ? Attendre quoi ?
Christian Estrosi, secrétaire d’Etat à l’Outre Mer, minimise la portée du rapport du Pr Belpomme en s’appuyant sur le fait que les connaissances actuelles sont lacunaires et que tous les résultats des analyses engagées ne sont pas encore connus ; Sur son blog il écrit : « je suis tout à fait conscient du désarroi que chacun peut ressentir lorsque ses terres sont touchées. ». « Juste » les terres donc selon lui ?
Michel Barnier, Ministre de l’Agriculture, a estimé que la situation est « très grave », mais …”On a une opportunité de faire autrement à partir de maintenant et heureusement, puisque les bananeraies ont été détruites par le cyclone (Dean)”, en août, a-t il ajouté. Donc selon lui, l’ouragan aurait non seulement arraché les bananiers, mais également les molécules de pesticides ancrées dans les sols ? … Et dire que tant de scientifiques ont perdu leur temps à rechercher des solutions de dépollution quand il en existait une, naturelle, efficace, rapide …
Quant à notre super ministre de l’Environnement Jean-Louis Borloo, il reste étonnamment discret sur le sujet, de même que notre omni-président …
Face à une telle unanimité de nos gouvernants, une telle profondeur, une telle conviction dans leurs propos, la population ultramarine peut être rassurée, leur problème va enfin être pris à bras le corps et géré efficacement !!!
Sources documentaires :
Fiche INRS : Paraquat
Charte de l’Environnement adossée à la Constitution / 1er mars 2005
« Rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe », Dr Bonan / 5 juillet 2001
Assemblée Nationale : N° 1288, Proposition de résolution / Janvier 2004
« Rapport de la commission d’orientation du plan national santé – environnement » / Février 2004
IFE N : « les pesticides dans les eaux – 6e bilan annuel, données 2002 » / Juillet 2004
Assemblée Nationale, rapport n° 2430, « sur l’utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne » / 30 juin 2005
AFSSA : « Le chlordécone en Martinique et Guadeloupe : Questions / réponses » / Octobre 2005
INRA / CIRAD : Conclusions du groupe d’étude et de prospective : « pollution par les organochlorés aux Antilles » / Juin 2006
BASAG : « Pesticides et organochlorés aux Antilles » / Juillet 2006
Fabrice Nicolino, François Veillerette, « pesticides, révélations sur un scandale français », ed. Fayard / Février 2007
ARTAC : Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique. Conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires et proposition d’un plan de sauvegarde en 5 points. (rapport Pr. Dominique Belpomme) / 23/06/2007
Revue de presse : 17/09/2007, Blog de Christian Estrosi « les pollutions aux pesticides aux Antilles / 17/09/2007, Le Parisien, « pesticides : le scandale qui empoisonne les Antilles » / 17/09/2007, Le Monde, « les Antilles françaises sont menacées par les pesticides » / 18/09/2007, Le Nouvel Observateur, « pesticides aux Antilles : « l’Etat n’a rien à cacher » » / 18/09/2007, Le Figaro, « un rapport alarmiste sur les pesticides aux Antilles » / Univers Nature du 19/09/07 « Antilles : la pollution par les pesticides se fait jour » / Le Canard Enchaîné du 19/09/07 « les pesticides empoisonnent les Antilles … et Borloo », et du 26/09/07 « On veut pas le savoir ! »