Bruly Bouabré inventa un alphabet de 448 pictogrammes monosyllabiques aptes à reproduire tous les sons humains. A cet effet, il indique que « c’est important pour les africains daavoir une écriture à eux. Si les Européens, par exemple, nous ont dépassé, c’est bien parce qu’ils ont une écriture. L’écriture est un remède contre l’oubli, car l’oubli est un redoutable facteur de l’ignorance. On n’oublie pas ce qui est écrit. L’écriture divinise l’homme et est le creuset où vit la mémoire de l’homme. C’est pourquoi j’insiste sur la présentation de l’Alphabet Ouest africain. Les gens qui n’écrivent pas n’ont pas de valeur. J’ai imité les sons et je suis arrivé à créer un alphabet. Mais, il faut dire que tout est lié aux pierres de Becloi. En effet, c’est en 1952 que je me suis rendu à Becloi, un petit village sur l’axe Daloa-Issia (centre Ouest de la Côte d’Ivoire) où se trouvent une variété de petites pierres rouges et noires, probablement d’origine naturelle mais traditionnellement considérées comme surnaturelles. Ces pierres se présentent sous des formes très variées et portent des dessins géométriques. Dès que je les ai vues, j’ai pensée que ça devrait être le vestige d’une antique écriture. Je fais le lien avec un jeu pratiqué par les enfants dans mon village à Daloa. Ce jeu qui consiste à enchaîner des paroles à partir de signes séparés les uns des autres. On place des graines de palmier pour les lire et ça donnait par exemple : « la route, de quelque façon qu’on puisse la nettoyer, elle ne manque pas d’obstacle ». Les signes formulent des images et portent des messages. Les Hommes ont tort de se prendre pour les seuls dessinateurs au monde. Le hasard de la nature trace sur une peau de banane ou d’orange. Le vent pousse des nuages qui découpent des formes dans le bleu du ciel. Un jet de jus de cola qu’on a mâché sur une page parle. Tous les signes portent des messages que l’homme gagnerait à apprendre, à voir et à comprendre car dans la forme des signes, s’énoncent le bien et le mal. »
« J’ai trouvé un alphabet et je suis prêt à l’enseigner à toute personne désireuse de l’apprendre… Cet alphabet appartient aux Africains, c’est à eux de se l’approprier. Il est universel et œuvre en faveur de la conservation du savoir humain» précise-t-il.
Les élus de Dieu sont les persécutés, les innocents. Ils prouvent l’existence de Dieu car, selon Bruly, les dominants sont plus nombreux que les innocents et pourtant cela n’a pas abouti à leur extermination. Les victimes de l’oppression sont supérieures à ceux qui les oppressent : « Ceux qu’on a persécuté aujourd’hui dans les ténèbres de l’injustice apparaîtront demain victorieux dans l’apothéose de la lumière ». Il instaure un dualisme entre le mal et le bien, Satan et Dieu, dominant et dominé, oppresseur et persécuté, une thématique radicalisée dans le discours des églises pentecôtistes et évangélistes.
Cette apologie de la victime renvoie au cadre judéo-chrétien où la victimisation est la marque du Messie et d’une autre manière peut se rattacher à la notion de jeremiad. Notion
4 « Dieu a créé trois personnes : l’Ange qui est le Génie de ‘Bonté’, le Diable qui est le Génie de ‘Méchanceté’ et l’Homme qui ne sera parfait qu’en sauvant son Ame destinée à jouir du ‘Bonheur divin’. Le Diable, jaloux du bonheur que Dieu a promis à l’Ame de l’homme, pousse l’homme à la colère pour Commettre des crimes qui font perdre cette Ame. L’Ange dicte toujours le Chemin que l’Homme doit suivre pour sauver son Ame. L’Homme se sauve ou se perd selon qu’il suit les Conseils de l’Ange ou du Diable.
Mardi, le 20 juillet 1948 »
Dans les statuts il est spécifié : « Ses pratiquants sont dits : « des Persécutés », c’est-à-dire « persécutés par la Cynique injustice de la terre ».
Dans le Livre des Lois : « Dieu, l’auteur des couleurs, n’a pas de couleur fixe. Il se manifeste sous toutes couleurs. Il se révèle Blanc, Bleu, Vert, Violet, Jaune, Rouge et Noir. La Race éternelle de Dieu tout-puissant, c’est l’ensemble des Innocents.
Vendredi, le 23 novembre 1956 »
Le Livre des Lois est bâti sur cette même forme d’inculturation de la parole de Dieu en terre africaine. En cela il flirte avec une rhétorique afrocentriste lorsque Bouabré parle d’un Jésus noir, ou que les Bété connaissaient le signe de croix avant l’arrivée des missionnaires.
« Il était noir. Missionnaire de Dieu. Il montrait aux Hommes le chemin du Salut. De cela, l’on l’appelait Jésus. Accompagné de son frère Aîné. Il se dirige vers le Nord-Est de son pays. Là, Il se trouva une Race difficile à convertir. Pour convaincre cette race par la puissance qu’Il tenait de Dieu. Il devint un homme tout blanc en présence d’une grande foule. Cet acte lui fut fatal ; car Il ne devait pas le faire en public. Ayant ainsi perdu l’origine de sa Couleur Il mourut en esclave de sa passion après avoir été renié par sa Race.
Sachez donc que les Envoyés de Dieu ont deux ennemis : l’incrédulité des Hommes et l’Imprudence à laquelle est soumis le corps humain sous lequel ces envoyés doivent accomplir leur grave mission.
23 juin 1948 »
Le gôpô chez les Bété est une épreuve de vérité. Il permet de désigner le coupable d’un fait, si le besoin s’impose. Lors de l’enterrement d’un membre de la communauté, celui-ci désigne les coupables de son décès. Ces personnes pour s’innocenter peuvent demander à subir l’épreuve du gôpô. Cela consiste à mettre des gouttes de ce produit (la sève de ces feuilles) dans les yeux. Si l’on est coupable, l’oeil s’enfle et devient rouge. Dans le cas contraire l’oeil n’a aucun dommage. Une allusion dans Sollicitation pousse à penser qu’il a été interdit par le gouvernement.
Sans doute encouragé par cette décision, il désigne la danse des morts comme un nouveau « facteur de trouble de l’ordre social et de la paix nationale ». En bété la danse des morts se traduit par bgabgê. Ce terme renvoie littéralement à ce qui fait la danse des morts : deux fourches soutenues entre elles par des bois permettant de supporter un linceul. Une ou deux personnes les animent et le font « parler », ils désignent ainsi le responsable du décès. Celui-ci devra offrir une compensation financière ou matérielle à la famille du défunt pour réparation. Cette cérémonie est appelée saka chez les Baoulé. Un substitut du cadavre est aussi mis en scène au bout d’une perche. Aux questions que l’assemblée lui pose lors de l’enterrement les porteurs le fond aller à droite ou à gauche pour exprimer sa réponse. Parfois le défunt pourra également prendre la parole pour expliquer clairement les circonstances de son décès.
Le mot « ennemi » pour moi renvoie à la jalousie qui naît de la richesse ou de l’aisance de l’autre. Comme l’autre est socialement bien au village il faut le ruiner. Une confidence : le peuple bété dans sa grande majorité ne croit pas encore à la mort naturelle même le sida, il le croit utopique. L’institution (des aigris, des jaloux, des menteurs) dont parle Bouabré est celle qui sape la réalité pour atteindre l’autre prit comme ennemi ».
Mais Bruly ne choisit pas cette cible seulement parce qu’elle tient du charlatanisme et de la manipulation. Son principe énonce un blasphème, elle ridiculise le pouvoir divin. Par conséquent, elle est inspirée par un « esprit satanique » qu’il faut éradiquer.
Le gôpô et la danse des morts sont des maux touchant les Bété, l’ethnie de Bouabré, mais toute l’argumentation du texte, comme il se doit face à un tel interlocuteur, est tournée vers le salut du pays.
Il est certain que Bouabré occupe une position à part dans le paysage prophétique ivoirien. Le cas de Papa Nouveau, prophète et compagnon de route de Houphouët-Boigny est exemplaire. A travers une action qui passe aussi par la création d’écoles et de dispensaires, il poursuivit pendant soixante quatre ans sa mission au point de prétendre avoir joué un rôle déterminant dans l’indépendance du pays. Chez Bouabré les dénonciations du gôpô et du bgabgê tendent à se substituer aux combats contre les fétiches. Cette volonté de se mettre au service du pays est d’autant mise en avant qu’il cherche l’autorité de l’instance dirigeante à travers le sous-préfet, convaincre un tiers qui est à la fois une légitimation officielle et une reconnaissance de sa cause.
Si le sujet initial de la lettre est bien de discréditer la « danse des morts », très vite il dirige sa diatribe sur une figure essentielle du discours prophétique, le faux-prophète. Il est celui qui à la fois menace la crédibilité du prophète et la renforce. La stature du prophète est prise entre l’autosuggestion et les épreuves sans cesse répéter pour assurer son élection divine. Tout prophète peut être suspect aux yeux d’un autre d’imposture et devenir sujet à discréditation.
Dans son texte, le faux-prophète prend les traits d’un personnage « orgueilleux et méchants » qui humilie les hommes en public en les désignant comme sorciers. Il devient dangereux pour le vivre-ensemble de la communauté par l’instauration d’une relation de type persécutant/persécuté. Il détruit des objets, potentiels « christophanies ». Par leur arrogance ses actes viennent parodier ceux de Dieu.
« Ne soupçonnez personne de sorcellerie. Loi d’amusement mise à part, accusez quelqu’un de sorcier, c’est le mettre contre toute l’humanité, c’est détruire son moyen de réussite pour le terrestre bonheur, c’est briser ses relations intimes, c’est le rendre solitaire, c’est le rendre douteux, c’est le rendre tristement effrayant ; en somme c’est détruire le principe de sa vie. Ces façons de faire donnent beaucoup d’ennemis. Aussi, si vos soupçons sont faux devant Dieu, vos accusés recevront le secours de cet Unique-Tout-Puissant.
Mardi, le 28 juin 1955 »
18 « Ne détruisez point les Cultes de vos prochains ; sinon vos prochains détruiront le vôtre avec le sentiment de la vengeance. La destruction des cultes par la pure volonté cruelle des hommes entraîne le désastre de l’Humanité, le désastre qui n’est tout autre chose que la perte du paradis par l’ignorance humaine, en ce sens que dans cette destruction, ce sont les Cultes les plus saints, ceux-là mêmes qui devaient constituer
la défaite de l’aire culturelle.
Le faux-prophète sera celui qui déforme la volonté de Dieu ou l’instrumentalise à ses propres fins. Le prophète est celui qui vient garantir la concorde, attentif aux dérives de la société ivoirienne, conciliateur, médiateur, dans un rôle de sentinelle et de garant de la parole de Dieu.
Extrait du livre lois divines dans l’ordre des persécutés
Le Manifeste Céleste
Le manifeste de Dieu est une Vision, une Réalité dont je suis le seul témoin oculaire. Elle s’est déroulée dans le ciel jeudi, le 11 mars 1948 de 7 heures à 8 heures du matin. En ce moment, j’étais à Dakar et je partais au travail. Quand, à mi-chemin, je portai ma vue sur le soleil qui était blanc pâle pour le consulter sur le temps de travail. Comme le temps était brumeux, le pâle disque solaire ne blessait point la vue et se laissait étudier aisément. Et, ma première vision est une ligne noire qui sectionna horizontalement notre soleil ordinaire. La partie inférieure du soleil était plus blanche que la partie supérieure. C’est elle qui progressa sur toute la face solaire. Ma seconde vision est ce Soleil blanc qui tourna en Soleil bleu. Ma quatrième vision est ce Soleil bleu qui tourna en Soleil vert. Ma cinquième vision est ce soleil vert qui tourna en soleil violet. Ma sixième vision est ce soleil violet qui tourna en Soleil jaune. Ma septième vision est ce soleil jaune qui tourna en soleil rouge. Ma huitième vision est ce Soleil rouge qui tourna en Soleil noir. Ma neuvième vision est ce Soleil noir qui tourna alors en notre Soleil ordinaire que je surnomme ici soleil père. Ma dixième vision qui est la plus extraordinaire est la « sortie de ces 7 Soleils colorés » de notre soleil habituel qu’ils entourèrent pour former ensemble un magnifique tableau dans un ciel blanchâtre. Ma onzième vision – non plus la moindre – est explosion du Soleil jaune qui, étant premier à sortir, arriva, dans leur course autour du soleil ordinaire, premier sur la ligne de sortie qui favorisa cette explosion. Dans la Nuée jaune qui sortit du soleil explose et couvrit tout l’Orient. Les 6 autres soleils colorés s’anéantir mystérieusement en commençant du soleil Violet au Soleil rouge. Notre soleil habituel qui survit ce Grand Miracle demeura un instant jaune à ma seule vue ; ce matin là, l’arrivai au travail à 8 heures moins 20, par conséquent je n’étais en retard. Car normalement, je devais arriver à 7 heures 30.
Toute ma doctrine est entièrement basée sur la réalité de cette vision qui a démontré d’une manière authentique l’existence de Dieu et de la vie surnaturelle. Comme Jésus-Christ, je donnerai aujourd’hui aussi calmement ma vie à l’athée qui la demandera et avec autant de joie que Mohamed a éprouvé devant sa Vision. Je sais que désormais, je suis en droit de dire comme tout le monde :
« Gloire à Dieu ! »
Dimanche 14 mars, 1948.
L’inspiration
A) Il existe : 1° Un démon de la tentation qui pousse à expliquer l’incroyable, le Mystère, à faire ce que dieu a défendu, c’est-à-dire l’impossible ; 2° Un démon de la prostitution qui est l’agent favori de la mort et de l’Enfer ; 3° Un démon de l’Ivresse qui rend autant de services que le Démon de la prostitution qu’il talonne toujours dans leur conquête ;
Le silence, l’abstention et la sobriété sont les armes qu’emploi la sainteté pour combattre des Démons.
Il existe : 1° Un Saint-Esprit qui réalise les Saintes-Unions au moyen des Miracles ; 2° Un Saint-Esprit qui dévoile et incendie l’oeuvre des Sorciers, agents du Démon.
B) Les couleurs préférées du Démon – Le Démon ne se manifeste que sous 2 couleurs :
Le Rouge et le Noir.
Les couleurs de l’Ange : 7. Si l’Ange est rouge, il défend le Juste ; s’il est Noir, il cache l’Innocence.
C) Il existe : 1° Un Saint-Esprit de la Liberté qui inspire l’amour du libre du choix ; 2° Un Saint-Esprit qui inspire la sainte joie dans les jours de la Grande Concorde : 3° Un Saint-Esprit de beauté qui Couronne les Fêtes de Dieu avec la plus belle parure ; 4° Un Saint-Esprit de Fidélité qui, par ses visites qui sont aussi des moyens de secours, maintient la Sainte-Union de la Sainte Création ; 5° Une Sainte Armée d’Anges dont Dieu use à occasion ; 6° Un Démon de la Pauvreté qui souffle et fait dissiper toute fortune ; 7° Un Ange de la Charité qui vient donner ou multiplier le petit bien des Ames Charitables afin de défendre leur juste réputation ; 8° Un Démon de la Division qui, sans raison valable, fait éclater sourdement la Colère et persister la Haine ; 9° Des Anges qui rendent la Sainte Justice que le Démon ne cesse point d’admirer après sa condamnation ; 10° Un Ange de la Sainte Vengeance qui agit sans détour contre le Mal ; 11° Un Ange de la Pitié et de Secours qui dicte les lois qui combattent le Satan, la Justice, la Charité, l’Amour du Prochain et l’Abstinence font partie de ses lois.
D) Les Hommes reconnaissent l’Envoyé de Dieu par ses œuvres. L’Envoyé de Dieu se reconnaît lui-même ; c’est ce qui le rend plus fort et plus heureux parmi les Hommes condamnés dans les Ténèbres.
La Proclamation
E) tout envoyé de Dieu connaîtra la Mort, la Transfiguration, la Résurrection. Il montrera aux hommes le Chemin du Salut. Il fera connaître ces choses inconnues : « la Mort est vaincue. La vie est éternelle. Le Bien est élu. Le Mal est damné. La vengeance est décrétée. Les accusations seront prononcées. Les congratulations seront entendues. Chacun se fera connaître pour se justifier. On jugera en faveur de la Vérité. Malheur au Méchant, au Menteur, à l’Injuste, à l’Ingrat, à l’Athée au Satan et à tous ceux qui font ses œuvres. La fin du Monde est proclamée ; c’est l’Age de la prière. La Résurrection générale est promise. Le Jugement se fera dans la transfiguration où les Heureux prendront la Couleur d’Ivoire, les moins Heureux prendront Mulâtre, et les Eternelles damnés prendront la Couleur du Charbon poussiéreux pour vivre dans la Misère vraie. Demeurer toujours dans le chemin du Bien est l’unique Salut de toutes les Races humaines. Aucun péché n’est point pardonné après la Mort. La chance de la Rédemption, la Chance du Pardon n’arrive qu’au cours de la Vie. Le jugement d’outre-tombe est terrible. Son signe, c’est la Transfiguration dans laquelle les Elus deviendront « blancs comme de l’ivoire », tandis que les Coupables deviendront « noir de Charbon ». Qu’Il est heureux d’être Coupable et d’assister à la Résurrection des Morts qui viennent venger : Un Envoyé de Dieu Martyr ! Qui sait le Grand Secret de Cette vie, ici, il n’y rien qui ne soit sacré par nature ou par droit ».
Cette proclamation est une éternelle Vérité. Qu’il y croit et y cherche son Salut qui veut.
Dimanche 14 mars, 1948.