La permaculture est une science de conception de cultures, de lieux de vie, et de systèmes agricoles humains utilisant des principes d’écologie et le savoir des sociétés traditionnelles pour reproduire la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels.
La Permaculture ?
“une science et un art qui visent à aménager des écosystèmes humains éthiques, durables et robustes qui s’intégreront harmonieusement avec la nature” (S.Read)
C’est donc une approche globale de conception des systèmes qui permet :
- d’appréhender un système dans sa globalité (approche holistique),
- d’observer comment les parties d’un système sont reliées,
- de réparer des systèmes défaillants en appliquant des principes issus de systèmes durables fonctionnels,
- d’observer et d’apprendre des systèmes naturels en fonctionnement,
- d’organiser et de planifier l’intégration de l’être humain dans les écosystèmes sans les abîmer, en intégrant une éthique qui anticipe les carences en matière de connaissance et de compréhension des milieux,
- donc de concevoir, planifier et réaliser des écosystèmes humains durables, écologiquement soutenables, socialement équitables, économiquement viables.
Outil de conception systémique et holistique, la Permaculture repose sur 3 bases éthiques fondamentales
– Respect de la Terre,
– Respect de l’Homme et des peuples,
– Créer l’abondance et redistribuer les surplus
Ce triptyque essentiel est souvent représenté par la fleur à 3 pétales
Une fois établis ces fondamentaux, il est essentiel de percevoir l’étendue des champs d’application de la permaculture, et les interactions et connexions infinies, qui montrent que la permaculture va bien au-delà d’une simple nouvelle approche agricole, qui plus est d’une forme de « jardinage alternatif ». La fleur reste là encore la représentation la plus pertinente :
La spirale qui prend naissance dans l’éthique et les principes suggère le lien entre les pétales – donc les interrelations entre les champs d’application – et la nature évolutive du chemin, qui part du niveau individuel et local pour atteindre le niveau collectif et global.
Les principes qui sont, avec l’éthique, au cœur de cette fleur et de toute conception en permaculture sont au nombre de 12.
Observer et interagir
« La beauté est dans les yeux de celui qui regarde »
Le processus d’observation influence la réalité
Nous devons toujours rester méfiants face à des vérités et des valeurs présentées comme absolues
Une bonne conception repose sur une relation libre et harmonieuse entre la nature et les gens, et dans laquelle une observation minutieuse et une interaction attentive fournissent l’inspiration, le répertoire des solutions et les motifs géométriques. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut élaborer de façon isolée. C’est au contraire le résultat d’une interaction continue et réciproque avec le sujet.
La permaculture se sert de ces conditions pour faire évoluer de manière consciente et continue les systèmes agraires et l’habitat qui pourront subvenir aux besoins des gens tout au long de la descente énergétique.
Pour les peuples de chasseurs-cueilleurs et les sociétés agraires à faible densité de population, la nature subvenait à tous les besoins matériels, l’activité humaine étant surtout dédiée à la récolte. Dans les sociétés préindustrielles plus densément peuplées, la productivité agricole dépendait d’apports importants et continus de travail humain.
Quant à la société industrielle, elle nécessite des apports importants et continus d’énergie fossile pour produire son alimentation et ses autres biens et services. Les concepteurs en permaculture se fondent principalement sur une observation minutieuse et une interaction attentive pour tirer parti plus efficacement des capacités humaines et pour réduire la dépendance vis-à-vis des énergies non-renouvelables et de la haute technologie.
Au sein de communautés agraires plus conservatrices et socialement soudées, la capacité de certains individus à prendre du recul, à observer et à interpréter à la fois les méthodes traditionnelles et modernes d’utilisation du sol constitue un solide atout pour développer de nouveaux systèmes plus appropriés. Un changement radical au sein d’une communauté est toujours plus difficile pour de nombreuses raisons, si bien que des modèles développés localement et puisant parmi les meilleures méthodes de conception écologique, qu’elles soient traditionnelles ou modernes, a plus de chances de réussir qu’un système préconçu imposé de l’extérieur. De plus, la diversité de ces modèles locaux fournira naturellement des éléments novateurs propices à l’enrichissement croisé d’innovations similaires en d’autres lieux.
Ce principe vise essentiellement à faciliter l’émergence d’un mode de pensée à long terme, indépendant voire hérétique, indispensable pour concevoir de nouvelles solutions, plutôt qu’à encourager l’adoption et la recopie de solutions éprouvées. Par le passé, ce sont les milieux académiques et urbains de la société d’abondance qui ont toléré voire encouragé ce mode de pensée, alors que les cultures agraires traditionnelles le rejetaient farouchement. aux stades ultimes du chaos de la société d’abondance postmoderne, les systèmes de domination du savoir sont moins évidents, de sorte que cette pensée indépendante et plus systémique a plus de chances de se diffuser largement à tous les niveaux de la hiérarchie sociale et géographique. Dans un tel contexte, on ne peut se fier ni aux étiquettes ni aux comportements comme signes de compétence et de valeur lorsqu’il s’agit d’évaluer d’éventuelles solutions de conception. C’est pourquoi, à quelque niveau que ce soit, nous devons compter de plus en plus sur nos capacités d’observation et d’interaction sensible pour trouver la meilleure façon d’avancer.
En permaculture, éthique et principes sont donc universels et inhérents à tout projet, quand les stratégies, les techniques et les outils sont contextuels.
Collecter et stocker l’énergie
« Faites les foins tant qu’il fait beau »
Le temps est compté pour la collecte et le stockage de l’énergie avant que l’abondance saisonnière ou passagère se dissipe
Nous vivons dans un monde de richesse sans précédent, grâce à l’exploitation d’énormes réserves de combustibles fossiles amassées par la terre durant des millions d’années. Nous avons profité de cette richesse pour accroître nos prélèvements sur les ressources renouvelables de la terre jusqu’à un niveau qui n’est pas soutenable. Les conséquences désastreuses de cette surexploitation se feront sentir à mesure que les réserves de combustibles fossiles déclineront
En termes financiers, nous avons vécu en consommant le capital global d’une manière inconséquente qui mènerait n’importe quelle entreprise vers la faillite. Nous devons apprendre à économiser et à réinvestir l’essentiel de cette richesse que nous consommons ou gaspillons afin que nos enfants et leurs descendants puissent mener une vie acceptable
Le fondement éthique de ce principe saurait difficilement être plus clair. Malheureusement, les notions conventionnelles de valeur, de capital, d’investissement et de richesse ne nous sont d’aucune aide dans cette tâche.
Notre définition inappropriée de la richesse nous a amené à ignorer les possibilités de collecter les énergies disponibles localement, qu’elles soient renouvelables ou non. Si nous identifions et tirons parti de ces possibilités, nous pourrons disposer d’une énergie permettant de rebâtir un capital tout en nous assurant un « revenu » pour nos besoins immédiats.
Certaines de ces sources d’énergie incluent :
- Le soleil, le vent et les eaux de ruissellement.
- Les déchets des activités agricoles, industrielles et commerciales.
- Les modes de stockage les plus importants pour l’avenir sont :
- Des sols fertiles riches en humus.
- Des systèmes de végétation pérenne, en particulier les arbres, produisant de la nourriture et d’autres ressources utiles.
- Les plans d’eau et les citernes.
- Les bâtiments solaires passifs.
La conception d’une restauration écologique est l’une des expressions les plus courantes de la pensée environnementale dans les pays riches. C’est aussi une démarche pertinente de la conception permaculturelle quand elle intègre explicitement l’homme dans les systèmes à restaurer.
Paradoxalement, l’abandon des espaces ruraux marginaux dans de nombreux pays du fait de la baisse des prix agricoles et le remplacement par des systèmes intensifs basés sur des énergies fossiles subventionnées a créé des « espaces naturels modernes »sur des territoires bien plus vastes que ceux visés par les programmes de restauration écologique.
Cette déprise agricole a certains effets négatifs, comme la disparition des systèmes traditionnels de gestion de l’eau et de protection contre l’érosion, ainsi qu’une recrudescence des feux de forêt, mais en d’autres endroits elle a permis à la nature de reconstituer son capital biologique (sol, forêt, faune), sans apport de ressources non-renouvelables.
L’une des expressions de ce principe, c’est qu’il peut être légitime d’employer des solutions à bas coût profitant du prix actuellement dérisoire des énergies fossiles quand il s’agit de reconstruire le capital naturel.
De la même manière, nous pouvons aussi considérer que l’expérience collective, les savoir-faire, la technologie et les systèmes informatiques hérités de notre passé d’opulence industrielle sont une énorme réserve de richesse qui peut être redéployée afin de créer de nouvelles formes de capital pertinentes pour la descente énergétique. Une partie de l’optimisme autour du développement durable est liée à la mise en œuvre de la technologie et de l’innovation.
Les stratégies permaculturelles ne renient pas la technologie et l’innovation mais gardent une dose d’esprit critique dans la mesure où l’innovation technologique est souvent un « cheval de Troie » recréant les problèmes sous d’autres formes. Tout en restant attentifs aux choix technologiques que nous faisons pour construire un nouveau capital, il faut profiter maintenant de notre capacité d’innovation technologique, puisque c’est une réserve de richesse qui déclinera progressivement au cours de la descente énergétique, quoique plus lentement que les ressources physiques et les infrastructures.
Créer une production
« On ne peut pas travailler l’estomac vide »
Il faut des résultats immédiat pour vivre
Le principe précédent attirait notre attention sur la nécessité d’utiliser notre richesse actuelle pour investir à long terme dans le capital naturel. Mais cela ne sert à rien de planter une forêt pour nos petits enfants si nous n’avons pas de quoi manger aujourd’hui.
Ce principe nous rappelle que tout système devrait être conçu pour assurer une autonomie à
tous les niveaux (y compris sur le plan personnel), en utilisant efficacement l’énergie collectée et stockée pour arriver à entretenir le système et aussi pour collecter encore plus d’énergie.
De manière plus générale, dans la transition de la croissance à la décroissance, la flexibilité
et la créativité seront des qualités essentielles pour trouver de nouvelles façons de créer une production.
Sans une production immédiate et vraiment utile, tout ce que nous concevrons puis
développerons finira par s’étioler. au contraire, les éléments qui peuvent générer une
production immédiate se développeront rapidement. Que nous attribuions cela à la nature, aux forces du marché ou à la cupidité humaine, les systèmes qui sont les plus efficaces pour créer
une production, puis qui l’utilisent le plus efficacement pour répondre aux besoins de survie ont tendance à l’emporter sur les alternatives.
Une production, un profit ou un revenu agissent comme une récompense qui encourage, qui
entretient ou qui reproduit le système qui les a générés. C’est comme cela que les systèmes prospèrent se développent. Dans la théorie des systèmes, on appelle ces récompenses des
boucles de rétroaction positive, qui renforcent le signal ou le processus de départ. Si l’intention est de concevoir des solutions vraiment durables, il faut pouvoir compter sur des récompenses qui encouragent la réussite, la croissance et la propagation de ces solutions.
Ceci est évident pour l’agriculteur ou l’entrepreneur, mais on constate dans toutes les cultures
où le niveau de vie s’élève une tendance à remplacer les environnements fonctionnels et productifs par des environnements superficiels et dysfonctionnels. Jusque dans les pays
pauvres, où l’objectif systématique d’un grand nombre d’initiatives de développement est de permettre aux gens de se soustraire au besoin d’entretenir des environnements fonctionnels
et productifs, en les enrôlant à plein temps dans l’économie marchande où la recherche du
profit devient un processus mesquin et destructeur dicté par les forces de la mondialisation.
Le modèle « nouveau riche » de réussite, qui bannit le fonctionnel et l’utile, doit être
remplacé par une évaluation impartiale des sources de richesse et par de vrais indicateurs de réussite. Depuis des générations, la culture du salariat capitaliste ou socialiste dans les pays développés a conduit à une incroyable déconnexion entre l’activité de production et
les sources de notre subsistance. en aidant les citadins australiens des classes moyennes à faire face au défi d’une vie rurale plus autonome, j’ai expliqué que c’était comme devenir
un entrepreneur. Paradoxalement, une des retombées inattendues du « rationalisme
économique » par ailleurs largement dysfonctionnel et cynique des dernières décennies, a été de re-sensibiliser les gens à la nécessité pour tous les systèmes d’être productifs d’une manière ou d’une autre.
Appliquer l’auto-régulation et accepter la rétroaction
« Les fautes des pères rejailliront sur les enfants jusqu’à la septième génération »
Les effets des rétroactions négatives peuvent mettre longtemps à se faire sentir
En dissuadant les activités néfastes, on assure que les systèmes pourront continuer de fonctionner correctement
Ce principe traite des aspects autorégulateurs de la conception permaculturelle qui permettent de réduire ou décourager la croissance inappropriée et les comportements malvenus. Avec une meilleure compréhension de la façon dont fonctionnent les rétroactions positives et négatives dans la nature, nous pouvons concevoir des systèmes qui sont mieux autorégulés, ce qui réduit le travail induit par de sévères et répétitives actions correctives.
La rétroaction est un concept de l’approche systémique qui est entré dans l’usage commun grâce à l’ingénierie électronique. Le principe 3 Créer une production décrivait une rétroaction dans laquelle l’énergie provenant de stocks permettait de collecter davantage d’énergie. Il s’agit d’un exemple de boucle de rétroaction positive. On peut voir cela comme un accélérateur qui pousse le système en direction de l’énergie librement disponible. De la même façon, une rétroaction négative est un frein qui empêche le système de se développer, de s’épanouir voire de s’optimiser. Par exemple ici en le faisant tomber dans la pénurie et l’instabilité à cause de la surexploitation ou de la mauvaise utilisation de l’énergie.
On pourrait dire que les systèmes auto-entretenus et autorégulés sont le « Saint Graal » de la permaculture, un idéal que nous nous efforçons d’atteindre sans peut-être jamais y parvenir complètement. On peut réaliser l’essentiel de cet idéal en appliquant les principes 8 et 10 (diversité et intégration) mais aussi en maximisant l’autonomie et l’efficacité énergétique de chaque élément d’un système. Un système composé d’éléments autonomes est plus robuste face aux perturbations extérieures. L’utilisation de variétés végétales ou de races animales rustiques, semi-sauvages et capables de se reproduire seules au lieu des variétés sursélectionnées et fragiles est une stratégie permaculturelle classique qui illustre ce principe. Plus généralement, une paysannerie auto-suffisante était considérée autrefois comme le fondement d’un pays fort et indépendant. Les économies mondialisées d’aujourd’hui conduisent à une plus grande instabilité puisque des effets peuvent se propager en cascade sur toute la planète. La restauration de l’autonomie aussi bien au niveau élémentaire qu’à celui du système entier augmente la résilience. Dans un monde de descente énergétique, l’autonomie deviendra une valeur plus prisée à mesure que le flux continu de ressources abondantes se tarira et que les économies d’échelle et les avantages de la spécialisation s’amenuiseront .
Les organismes aussi bien que les individus s’adaptent aux rétroactions négatives des systèmes naturels et communautaires à grande échelle en élaborant des mécanismes d’autorégulation pour anticiper et éviter l’impact plus sévère de ces rétroactions négatives externes. Les kangourous et les autres marsupiaux interrompent le développement de leurs embryons si les conditions saisonnières paraissent défavorables. Cela réduit les tensions ultérieures sur la population et sur l’environnement.
Les sociétés traditionnelles étaient conscientes que les effets des boucles de rétroaction externes mettaient un certain temps à se faire sentir. Les gens avaient besoin d’explications et de mises en garde, par exemple « les fautes des pères rejailliront sur les enfants jusqu’à la septième génération » et les « lois du karma » qui s’appliquent dans un monde d’âmes réincarnées.
Dans la société moderne, pour satisfaire nos besoins, nous avons pris l’habitude d’être fortement dépendants de systèmes à grande échelle, souvent éloignés, tout en voulant rester totalement libres dans nos actions, sans contrôle externe. En un sens, notre société est comme un adolescent qui veut tout, et tout de suite, sans vouloir supporter les conséquences. Même dans les communautés plus traditionnelles, les anciens tabous et interdits ont perdu beaucoup de leur autorité ou sont devenus écologiquement inadaptés du fait des changements de l’environnement, de la densité de population et de la technologie.
Le développement de comportements et de cultures mieux adaptés aux signaux de rétroaction que la nature nous envoie pour prévenir la surexploitation est l’un des défis des écologistes. Les rétroactions négatives doivent être bien ciblées et suffisamment fortes pour susciter un changement, mais pas trop fortes, au risque d’obérer le développement futur du système. Par exemple, la récupération et l’utilisation de l’eau de pluie dans une maison fait prendre conscience des limites en quantité et en qualité. Si le conduit d’un poêle à bois donne un goût de fumée à l’eau, ce signal négatif entraîne une action corrective. Trop souvent, on est tenté de concevoir des systèmes durables qui seraient à l’abri des aléas de la rétroaction négative de l’extérieur. C’est comme quand on essaie d’élever des enfants dans un environnement aseptisé et protégé : cela conduit à des risques futurs encore plus sérieux. Il est clair que si l’on doit accepter ouvertement les risques de rétroaction négative, il faut pouvoir les réduire par l’application de principes éthiques, d’abord à nous-mêmes, puis à nos familles et à nos communautés, plutôt qu’extérioriser le risque, comme c’est le plus souvent le cas dans les économies industrielles à grande échelle.
L’hypothèse « Gaia », qui considère la planète comme un système autorégulé, analogue à un organisme vivant, fait de la terre entière une parfaite illustration de ce principe. Les preuves scientifiques de la remarquable homéostasie de la terre pendant plusieurs centaines de millions d’années nous montrent que la terre est l’archétype même du système global auto-régulé qui a su à la fois choyer la permanence et stimuler l’évolution des formes de vie et des sous-systèmes qui la constituent.
Utiliser et valoriser les services et les ressources renouvelables
« Laissons faire la nature »
La quête de la maîtrise totale de la nature par l’utilisation des ressources et de la technologie n’est pas seulement coûteuse, elle peut aussi mener à une spirale d’interventions et de dégradations des systèmes et des processus biologiques qui représentent déjà le meilleur équilibre entre productivité et diversité.
Les ressources renouvelables sont celles qui peuvent être remplacées et renouvelées par des processus naturels sur des périodes de temps raisonnables, sans apports essentiels non-renouvelables. En langage comptable, les ressources renouvelables sont nos sources de revenu, alors que les ressources non-renouvelables peuvent être envisagées comme un capital immobilisé. Tout le monde comprend bien qu’on ne peut pas durablement dépenser le capital pour les dépenses courantes. La conception permaculturelle doit rechercher la meilleure utilisation possible des ressources naturelles renouvelables pour créer une production puis la maintenir, même s’il est parfois nécessaire d’utiliser certaines ressources non-renouvelables pour établir les systèmes au départ.
La plaisanterie qui présente la corde à linge comme un sèche-linge solaire a un effet comique parce que nous voyons qu’on nous a berné quand nous en arrivons à utiliser des gadgets complexes et inutiles pour des tâches si simples. D’un côté tout le monde admet volontiers que la corde à linge a des années d’avance sur le sèche-linge électrique en terme de durabilité, et pourtant de l’autre, peu de gens considèrent encore le bois comme une source d’énergie écologique appropriée. Toutes les forêts exploitées de façon durable génèrent un surplus de bois bon marché qui, lorsqu’il est séché correctement (séchage solaire), peut constituer une ressource locale pour le chauffage et la cuisson dans des poêles et des cuisinières bien conçus.
De même que le bois n’a pas forcément toutes les caractéristiques que nous pourrions souhaiter pour un combustible, de même la médecine par les plantes ne fournit peut-être pas une pharmacopée complète ; toutefois nous pouvons traiter efficacement une grande partie de nos maux avec des plantes médicinales cultivées et transformées localement. Ce faisant, nous évitons bien des effets secondaires indésirables, aussi bien internes qu’externes, causés par l’industrie pharmaceutique centralisée ; nous montrons plus de respect envers la nature ; et nous nous sentons plus confiants quant au maintien de notre propre santé.
Les services renouvelables (ou fonctions passives) sont ceux fournis par les plantes, les animaux, la vie du sol et l’eau sans qu’ils soient consommés. Par exemple, lorsque nous utilisons un arbre pour son bois, nous consommons une ressource renouvelable, mais lorsque nous nous en servons pour l’ombre et l’abri qu’il nous apporte, nous tirons de cet arbre des bénéfices qui ne s’épuisent pas et ne nécessitent aucune dépense d’énergie. Ce simple constat est évident et pourtant essentiel pour reconfigurer des systèmes dans lesquels de nombreuses fonctions simples sont devenues dépendantes de l’utilisation de ressources non renouvelables et non-durables.
Les systèmes permaculturels se servent classiquement des cochons ou des poules pour préparer le sol avant de planter, évitant ainsi le recours au tracteur ou au motoculteur, aux pesticides et aux engrais chimiques. Dans ces systèmes, avec un minimum de gestion et de travail sur les clôtures, on peut utiliser les animaux de façon sophistiquée pour remplir de multiples fonctions.
Un système permaculturel doit utiliser le mieux possible les services naturels inépuisables afin de minimiser notre consommation des ressources et mettre l’accent sur les possibilités harmonieuses d’interaction entre les humains et la nature. Il n’y a pas de meilleur exemple, dans l’histoire de la prospérité humaine obtenue par l’utilisation durable des services de la nature, que la domestication du cheval et des autres animaux et leur emploi pour le transport, le labour et une multitude d’autres activités demandant de l’énergie. Les étroites relations développées avec les animaux domestiques, comme le cheval, favorisent aussi un contexte empathique pour étendre nos préoccupations éthiques et y inclure la nature. D’autre part, dans les cultures où le bétail est encore un symbole dominant de statut social et de richesse, les services renouvelables plus fondamentaux fournis par les plantes et la vie du sol doivent être davantage reconnus, valorisés et utilisés. Au sein des communautés, qu’elles soient riches ou pauvres, la prise en compte de la valeur de nos déjections comme source renouvelable de fertilité, débarrassée de ses pathogènes par la fonction écologique des microbes dans des toilettes à compost, est l’une des applications essentielles et universelles de ce principe.
Ne pas produire de déchets
« Pas de gaspillage, pas de manque »
Il est facile de gaspiller en période d’abondance mais ce gaspillage peut être à l’origine de privations ultérieures
« Un point à temps en vaut cent »
Un entretien périodique est précieux pour éviter le gaspillage et les grands travaux de réparation et de restauration
Ce principe rassemble les valeurs traditionnelles de frugalité et d’entretien des biens matériels, les préoccupations modernes en matière de pollution, ainsi que le point de vue plus radical qui considère les déchets comme des ressources et des potentialités. Le ver de terre illustre bien ce principe car il vit en consommant la litière végétale (déchets) qu’il convertit en humus, lequel à son tour améliore l’environnement du sol pour lui-même, pour les micro-organismes du sol et pour les plantes. Ainsi, le ver de terre, comme tous les êtres vivants, fait partie d’un réseau où les productions des uns sont les matières premières des autres.
Les processus industriels qui rendent possible notre style de vie peuvent être caractérisés par un modèle de type « entrées-sorties », dans lequel les entrées sont des matières premières naturelles et de l’énergie alors que les sorties sont des biens et des services. Toutefois, en prenant du recul et en adoptant une vision à long terme, on peut voir que tous ces biens finissent sous forme de déchets (essentiellement dans des décharges) et que même les services les plus immatériels conduisent à la dégradation de ressources et d’énergie en déchets. Ce modèle pourrait donc être mieux défini par l’expression « consommation excrétion ». Considérer les gens comme de simples consommateurs et excréteurs est peut- être valide du point de vue biologique, mais certainement pas du point de vue écologique.
Le proverbe « Pas de gaspillage, pas de manque » nous rappelle qu’il est facile de gaspiller en période d’abondance mais que ce gaspillage peut être à l’origine de privations ultérieures. Cela est particulièrement pertinent dans un contexte de descente énergétique. Jamais dans l’histoire nous n’avons eu autant de possibilités pour réduire les déchets, et même d’en tirer un revenu. Autrefois, seuls les plus démunis vivaient des déchets. Aujourd’hui nous devons reconnaître la réutilisation créative des déchets comme la clé d’un mode de vie frugal sur la Terre. En plus des déchets ménagers et industriels, la modernité a créé de nouvelles classes de déchets vivants [plantes et animaux nuisibles indésirables] qui prolifèrent autant dans nos esprits que dans les paysages des nations nanties.
Bill Mollison définit un polluant comme « un produit de n’importe quel partie d’un système qui n’est pas utilisé de manière productive par une autre partie du système ». Cette définition nous encourage à chercher comment minimiser la pollution et les déchets en concevant des systèmes permettant l’utilisation de tout ce qui est produit par les sous-systèmes. En réponse aux inquiétudes concernant les infestations d’escargots dans les jardins de vivaces, Mollison avait l’habitude de répondre que le problème n’était pas un excédent d’escargots mais un déficit de canards. De même, dans certaines régions la croissance incontrôlée de la prairie ou de la forêt mène à la destruction par les feux de brousse, alors que dans d’autres un surplus d’herbivores conduit au surpâturage. Les moyens innovants et créatifs pour utiliser cette source d’abondance sont l’une des caractéristiques de la conception permaculturelle.
« Un point à temps en vaut cent » nous rappelle qu’un entretien périodique est précieux pour éviter le gaspillage ainsi que les grands travaux de réparation et de restauration coûteux en travail. Bien que beaucoup moins stimulant que le travail créatif pour tirer parti de l’abondance de déchets, l’entretien de ce que nous avons déjà doit devenir une préoccupation majeure et permanente dans un monde en descente énergétique. Les structures et les systèmes se déprécient tous, et les systèmes humains écologiques et durables consacrent tous des ressources pour assurer l’entretien aux bons moments.
Partir des structures d’ensemble pour arriver aux détails
« C’est l’arbre qui cache la forêt »
Les détails ont tendance à brouiller notre perception de la nature du système
Plus nous nous approchons, moins nous pouvons appréhender le tableau général
Les six premiers principes considèrent les systèmes selon une perspective ascendante, partant des éléments, des organismes et des individus. Les six principes suivants adoptent plutôt une perspective descendante partant des modèles et des relations qui résultent de l’auto-organisation et de la coévolution des systèmes. La similarité des formes qu’on peut observer dans la nature et dans la société permet non seulement de comprendre ce qu’on voit, mais aussi de s’inspirer d’un motif qu’on observe à une certaine échelle et dans un certain contexte pour la conception d’un système à une autre échelle. La reconnaissance de formes est le résultat de l’application du principe : Observer et interagir ; c’est également le préalable nécessaire au processus de conception permaculturelle.
La toile d’araignée, avec son tracé concentrique et radial, dessine un motif bien visible, même si les détails varient toujours. Ce symbole évoque la planification en zones et secteurs. C’est la notion permaculturelle la plus connue et probablement la plus utilisée.
La modernité a fini par bousculer tout bon sens ou intuition d’ensemble qui permettraient d’ordonner le fouillis de possibilités et de choix de conception auxquels nous sommes confrontés dans tous les domaines. Cette tendance problématique à se focaliser sur la complexité des détails débouche sur des usines à gaz impressionnantes mais qui ne fonctionnent pas, ou des solutions monstrueuses qui mobilisent toutes nos énergies et nos ressources tout en menaçant constamment de devenir incontrôlables. Souvent, les systèmes complexes qui fonctionnent sont ceux qui se sont développés à partir de systèmes plus simples et viables. Par conséquent, pour concevoir un système il est plus important de trouver un schéma d’ensemble approprié que de comprendre tous les détails des éléments du système.
L’idée qui a lancé la permaculture a été d’appliquer à l’agriculture le modèle de la forêt. Cette idée n’était pas nouvelle, mais elle était si peu appliquée ou développée dans de nombreuses cultures et écorégions que ce fut l’occasion d’appliquer aux terres utilisées par l’homme l’un des modèles d’écosystèmes les plus répandus. Le modèle forestier a ses limites et il est parfois critiquable ; il n’en demeure pas moins un exemple solide de l’approche systémique, et il continue de façonner la permaculture et les concepts proches tels que ceux du jardin-forêt, de l’agroforesterie et de la foresterie analogue.
Pour aider à la mise en place des éléments et des sous-systèmes, on subdivise en zones l’espace autour du centre d’activité, tel que l’habitation sur une ferme, selon leur intensité d’utilisation : c’est un exemple de démarche permaculturelle qui part d’un modèle général pour aboutir aux détails. De même, les facteurs environnementaux tels que la direction du soleil, les vents dominants, les zones inondables et la provenance des incendies peuvent être ordonnés en secteurs autour du même point focal. Ces secteurs ont un caractère à la fois spécifique au site et à l’écorégion que le concepteur en permaculture doit garder en tête pour bien comprendre un site et permettre l’agencement d’éléments de conception appropriés pour créer un système viable.
L’utilisation de baissières (swales) et d’autres formes de terrassement pour distribuer et canaliser les eaux de ruissellement doit s’inspirer de motifs topographiques premiers. Ces ouvrages créent à leur tour des zones humides productives qui conditionnent les systèmes de culture et les méthodes de gestion.
Alors que les systèmes agraires traditionnels fournissent beaucoup d’exemples de conception prenant en compte le système dans sa totalité, les populations trop ancrées dans leur culture locale ont souvent besoin d’apports extérieurs nouveaux pour leur permettre d’envisager leurs paysages et leurs communautés sous un jour nouveau. Dans certains des projets pionniers « Landcare » en Australie dans les années 80, les photographies aériennes de leurs exploitations ont donné aux agriculteurs à la fois une image et la motivation pour commencer sérieusement à s’attaquer au déclin du boisement et aux problèmes de dégradation des sols. Depuis le ciel, les divisions cadastrales étaient moins visibles alors que les motifs hydrographiques naturels étaient mis en évidence. De la même façon, c’est plus souvent le contexte communautaire et social au sens large, davantage que les éléments techniques, qui détermine le succès d’une solution spécifique. La liste est longue des projets de développement à l’étranger qui ont échoué faute d’avoir pris en compte ces facteurs.
Intégrer plutôt que séparer
« Plus on est nombreux, moins le travail est dur »
La permaculture peut être perçue comme faisant partie d’une longue tradition de concepts qui mettent l’accent sur les relations mutuelles et symbiotiques, plutôt que sur les relations concurrentielles et prédatrices
Dans tous les aspects de la nature, depuis les mécanismes internes des organismes jusqu’aux écosystèmes complets, nous constatons que les connections entre les éléments sont aussi importantes que les éléments eux-mêmes. Ainsi, « le but d’un système fonctionnel et autorégulé est d’agencer les éléments de façon à ce que chacun d’entre eux réponde aux besoins et utilise les produits des autres éléments ».
Notre penchant culturel à nous focaliser sur la complexité des détails nous pousse à négliger la complexité des relations. Afin de réduire cette complexité des relations, nous adoptons le plus souvent des stratégies de conception qui découplent les éléments du système. Ces solutions résultent en partie de notre méthode scientifique réductionniste qui isole les éléments pour les étudier séparément. On ne cherche à comprendre la façon dont ils fonctionnent en tant qu’éléments d’un système intégré qu’en examinant leurs propriétés isolément.
Ce principe met l’accent sur les différents types de relations qui lient les éléments entre eux au sein de systèmes étroitement intégrés ainsi que sur l’amélioration des méthodes de conception des communautés végétales, animales et humaines pour tirer parti de ces relations.
La capacité du concepteur à créer des systèmes étroitement intégrés dépend d’une vision d’ensemble du puzzle d’interconnections qui caractérise les communautés écologiques et sociales. En plus d’une conception intentionnelle, nous devons nous attendre à ce que des relations écologiques et sociales réelles se développent grâce à des mécanismes d’autoorganisation et de croissance.
L’image associée pour ce principe peut être un cercle vu de dessus formé par des personnes ou des éléments constituant un système intégré. Le vide apparent au centre représente la partie abstraite du système. Il prend sa source dans l’organisation des éléments tandis que lui-même à son tour leur donne forme et spécificité.
En agençant correctement les plantes, les animaux, les baissières (swales), les bassins et les autres infrastructures on peut atteindre un haut niveau d’intégration et d’autorégulation sans avoir constamment besoin d’interventions humaines pour une gestion corrective. Par exemple, grâce à un positionnement approprié, on peut facilement prélever la litière là où la volaille gratte sous une forêt fourragère pour l’amener à des jardins en contrebas. Les adventices herbacées et ligneuses dans les prairies d’élevage contribuent souvent à l’amélioration du sol, à la biodiversité, ainsi qu’à d’autres usages particuliers et médicinaux. Une pâture tournante bien gérée permet le plus souvent de contrôler ces mauvaises herbes sans pour autant les éliminer complètement.
Dans les publications et dans l’enseignement de la permaculture, deux énoncés ont joué un rôle central pour développer la conscience de l’importance des relations dans la conception de systèmes autonomes :
• Chaque élément remplit plusieurs fonctions
• Chaque fonction importante est assurée par plusieurs éléments
Les connections ou relations entre les éléments d’un système intégré sont très diverses. Certaines peuvent être prédatrices ou concurrentielles, alors que d’autres sont coopératives ou même symbiotiques. Tous ces types de relations peuvent être bénéfiques dans l’élaboration d’un système ou d’une communauté solidement intégrés, mais la permaculture insiste particulièrement sur la mise en œuvre de relations mutuellement bénéfiques et symbiotiques.
Cela s’appuie sur deux convictions :
• Nous sommes culturellement disposés à voir les relations concurrentielles et prédatrices, et à ne pas tenir compte des relations coopératives et symbiotiques, dans la nature comme dans nos cultures.
• Les relations coopératives et symbiotiques seront mieux adaptées à un futur où l’énergie disponible va décliner.
Le déclin de l’énergie disponible va peu à peu modifier la perception générale de ce précepte, qui au lieu d’un idéalisme romantique sera finalement compris comme une nécessité pratique.
Utiliser des solutions à de petites échelles et avec patience
« Plus on est grand, et plus on tombe de haut »
L’un des inconvénients de la démesure et de la croissance excessive
« Rien ne sert de courir, il faut partir à point »
Encourager la patience tout en exprimant une vérité commune dans la nature et la société
Pour chaque fonction, les systèmes devraient être conçus à la plus petite échelle qui permet de remplir la fonction tout en étant réalisable et efficace énergétiquement. Pour qu’une société soit humaine, démocratique et durable, c’est l’échelle humaine et les capacités de l’individu qui devraient être le principal étalon de mesure. Ce principe est relativement bien compris depuis les travaux novateurs de E.F. Schumacher (ndT : l’auteur de ‘Small is Beautiful’). À chaque fois que nous faisons quelque chose de façon autonome – cultiver nos aliments, réparer un appareil cassé, nous maintenir en bonne santé – nous appliquons ce principe de manière très efficace. À chaque fois que nous achetons aux petites entreprises locales ou que nous participons aux initiatives sociales ou environnementales à l’échelle locale, nous appliquons aussi ce principe. En dépit de la réussite de cette technologie intermédiaire, appropriée aux besoins locaux des projets de développements, l’énergie bon marché a continué de favoriser artificiellement les systèmes à grande échelle au cours des dernières décennies. La fin de l’énergie à bas prix va bousculer les économies d’échelle actuelles pour favoriser les systèmes à petite échelle. Dans le même temps, les différences relatives d’économies d’échelle entre différentes fonctions persisteront.
Par ailleurs, le fait que le transport de matériaux, de personnes (et d’autres êtres vivants) puisse être un aspect mineur dans la conception d’un système est une idée récente de la modernité. Le confort et le pouvoir issus de cette mobilité accrue ainsi que des technologies de l’information sont un « cheval de Troie » qui détruit les communautés et accélère la demande énergétique. La mobilité et la vitesse dans les pays riches sont devenues si dysfonctionnelles qu’elles ont donné naissance aux mouvements « Slow Food » et « Slow cities », par réaction. La révolution dans les communications et l’informatique a donné un nouvel élan à l’idée que la vitesse est une bonne chose, mais là encore on voit surgir des effets pervers caractéristiques, par exemple le déluge de pourriels qui menacent la convivialité de la messagerie électronique.
Beaucoup d’exemples concrets offrent une vision plus équilibrée qui contrebalance l’attirance naturelle qu’exercent sur nous les processus rapides et les systèmes à grande échelle. Par exemple, la réponse rapide des cultures aux engrais solubles est souvent de courte durée. Le fumier, le compost et les minéraux naturels fournissent généralement aux plantes des nutriments plus équilibrés et durables. Et si l’on obtient de bons résultats avec un peu d’engrais, ça ne garantit pas de meilleurs résultats en augmentant la dose.
En foresterie, les arbres à croissance rapide ont souvent une durée de vie courte. Mais d’autres espèces, qui poussent apparemment plus lentement, mais qui sont plus utiles, voient leur croissance s’accélérer et même dépasser les espèces à croissance rapide après dix ou vingt ans. Une petite plantation régulièrement éclaircie et élaguée peut dégager davantage de revenu qu’une grande plantation sans entretien.
En nutrition animale, le bétail poussé grâce aux aliments concentrés est souvent plus sujet aux maladies et vit moins longtemps que les animaux élevés dans des conditions plus naturelles. Le surpâturage est une des causes prépondérantes de la dégradation des sols, alors que des troupeaux plus modestes et bien gérés sont bénéfiques, voire essentiels, à l’agriculture durable.
Dans les villes surpeuplées, la vitesse apparente et le confort de la voiture entravent la mobilité et détruisent le bien-être, alors que le vélo, beaucoup plus petit, plus lent et plus sobre, permet une plus grande liberté de mouvement sans pollution ni bruit. De plus, les vélos peuvent être plus efficacement produits et assemblés dans des usines locales plus petites que celles qui doivent réaliser les économies d’échelle nécessaires à l’industrie automobile.
Utiliser et valoriser la diversité
« Ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier »
La diversité nous sert d’assurance contre les aléas de la nature et du quotidien
Le méliphage d’Australie et le colibri possèdent tous deux un long bec et sont capables d’effectuer un vol stationnaire, ce qui les rend parfaitement adaptés pour boire le nectar de longues fleurs étroites. Cette remarquable coévolution est le symbole de la spécialisation des formes et des fonctions dans la nature.
C’est la grande diversité de formes, de fonctions et d’interactions au sein de la nature et de l’humanité qui donne naissance à la complexité des systèmes issus de l’évolution. Le rôle et l’importance de la diversité dans la nature, la culture et la permaculture sont eux-mêmes complexes, fluctuants et parfois contradictoires en apparence. Il faut voir la diversité comme le résultat d’un équilibre ou d’une tension dans la nature, entre d’un côté la variété et la possibilité, et de l’autre côté la productivité et la puissance.
Il est maintenant largement reconnu que la monoculture est une cause majeure de vulnérabilité vis-à-vis des ravageurs et des maladies, et par conséquent une cause du recours généralisé aux produits chimiques toxiques et à l’énergie pour les combattre. La polyculture constitue l’une des applications les plus importantes et les plus largement reconnues de l’usage de la diversité afin d’être moins sensible aux ravageurs, aux aléas climatiques et aux fluctuations du marché. La polyculture réduit également la dépendance aux systèmes marchands et favorise l’autonomie des ménages et des communautés en leur offrant une plus grande variété de biens et de services.
Toutefois, la polyculture n’est certainement pas la seule application de ce principe. La diversité des différents systèmes agraires reflète la nature unique du site, de la situation et du contexte culturel.
La diversité des structures, qu’elles soient vivantes ou construites, est un aspect important de ce principe, tout comme la diversité au sein des espèces et des populations, y compris dans les communautés humaines. La préservation d’au moins une partie de la grande diversité des langues et des cultures de la planète est sans doute aussi importante que la conservation de la biodiversité. Si la descente énergétique s’accompagne de réponses inadaptées et destructrices, il y aura des impacts négatifs sur la diversité culturelle et la biodiversité. Mais à plus long terme, la descente énergétique ralentira la machine économique destructrice de biodiversité et stimulera une nouvelle diversité au niveau local et dans les écorégions. Alors que de nombreux mouvements écologistes et sociaux reconnaissent seulement la diversité biologique et culturelle passée, la permaculture se consacre tout aussi activement à la création d’une nouvelle biodiversité régionale à partir du creuset naturel et culturel dont nous avons hérité.
Utiliser les interfaces et valoriser les bordures
« La bonne route n’est pas toujours la plus fréquentée »
Les idées les plus communes, évidentes et populaires ne sont pas nécessairement les plus pertinentes ou les plus influentes
L’image associée à ce principe est un soleil se levant à l’horizon avec une rivière en premier plan. Il nous montre un monde composé d’interfaces et de bordures.
Les estuaires constituent une interface complexe entre le continent et la mer qui peut être considérée comme un immense marché écologique entre les deux grands milieux. L’eau peu profonde laisse passer le soleil pour la croissance des plantes et des algues, et constitue le biotope où les échassiers et d’autres oiseaux viennent se nourrir. Les eaux douces des cours d’eau s’étalent au dessus des eaux salées plus denses qui montent et descendent en fonction des marées, redistribuant ainsi les éléments nutritifs dans ce milieu grouillant de vie.
Dans chaque écosystème terrestre, la partie vivante du sol, parfois à peine profonde de quelques centimètres, constitue à la fois une bordure et une interface entre les couches minérales inertes et l’atmosphère. Pour toute vie terrestre, l’humanité incluse, il s’agit de la plus importante de toutes les interfaces. Seules quelques espèces rustiques parviennent à se développer dans un sol peu profond, compacté et mal drainé, où l’interface est insuffisante. Un sol profond, bien drainé et aéré est comme une éponge, une formidable interface qui alimente une vie végétale féconde et vigoureuse.
Les sagesses et les arts martiaux orientaux considèrent la vision périphérique comme un sens essentiel qui nous relie au monde d’une toute autre façon que la vision focalisée. Quel que soit l’objet de notre attention, il faut se rappeler que c’est en bordure de toute chose — système ou milieu — que se déroulent les événements les plus intéressants ; une conception qui considère la bordure comme une chance plutôt que comme un problème aura plus de chance de réussir et de s’adapter. Ce faisant, nous abandonnons les connotations négatives associées au mot « marginal » pour saisir la valeur des éléments qui contribuent à une fonction ou à un système uniquement de manière périphérique.
Dans le domaine du développement rural, la focalisation sur les cultures alimentaires, les terres agricoles arables, ainsi que les objectifs et les valeurs clairement affichés au sein des communautés aboutit fréquemment à la sous-évaluation, l’ignorance et la destruction des espèces sauvages et des espaces marginaux, ainsi que des besoins moins visibles des femmes, des personnes défavorisées et des paysans sans terre. De même, en économie, les grandes entreprises et les villes en pleine expansion ignorent le fait que ces systèmes sont les fruits des innovations passées et que les petites entreprises ainsi que les territoires ou les systèmes plus modestes et moins riches sont la source des futures innovations.
Ce principe est fondé sur le fait que la valeur et la contribution des interfaces, ainsi que les aspects en bordures, marginaux et invisibles, de tout système doivent non seulement être reconnus et préservés, mais que l’extension des interfaces peut augmenter la productivité et la stabilité du système. Par exemple, élargir la zone d’interface entre un champ et un étang peut augmenter la productivité des deux. On peut considérer les cultures en allées et les haies brise-vent comme des systèmes dans lesquels l’élargissement de la lisière entre le champ et la forêt a contribué à augmenter la productivité.
Utiliser le changement et y réagir, de manière créative
« La vision ne consiste pas à voir les choses comme elles sont, mais comme elles seront »
La compréhension du changement dépasse largement la simple extrapolation de tendances statistiques
Lien cyclique entre ce dernier principe de conception (le changement) et le premier (l’observation)
Ce principe a deux facettes : d’un côté concevoir en utilisant le changement de façon volontaire et coopérative, et de l’autre réagir ou s’adapter de manière créative aux changements à grande échelle qu’on ne peut ni contrôler ni influencer. L’accélération de la succession écologique dans les systèmes cultivés est l’expression la plus courante de ce principe dans la littérature et la pratique de la permaculture et elle illustre la première facette. Par exemple, l’utilisation d’arbres à croissance rapide fixateurs d’azote pour amender le sol et pour assurer le couvert et l’ombre pour les arbres fourragers à croissance lente, plus utiles, représente un processus de succession écologique entre la phase pionnière et la phase mature. Le prélèvement d’une partie ou de tous les fixateurs d’azote comme fourrage ou comme combustible à mesure que les plantations utiles grandissent est un signe de réussite. La graine dans le sol capable d’une régénération après une catastrophe naturelle ou un changement dans l’utilisation du sol (par exemple, une phase de culture annuelle) fournit l’assurance d’un rétablissement du système dans le futur.
Ces concepts ont également été appliqués pour comprendre comment le changement organisationnel et social peut être encouragé de façon créative. En plus de l’utilisation d’une gamme plus large de modèles écologiques pour montrer comment nous pourrions nous servir des processus de succession, j’envisage maintenant ceci dans un plus large contexte, celui de notre utilisation et de notre réaction au changement.
L’adoption réussie d’une innovation au sein des communautés suit souvent un chemin similaire à la succession écologique dans la nature. Des individus visionnaires et opiniâtres sont souvent les premiers à proposer une solution nouvelle, mais il faut généralement que l’innovation soit adoptée par des personnalités reconnues ou des notables influents avant qu’elle puisse être considérée comme utile et opportune par tout le monde. Un changement de génération est parfois nécessaire pour que des idées radicales soient adoptées, mais on peut l’accélérer grâce à l’influence de l’éducation scolaire sur l’environnement domestique. Par exemple si les enfants ramènent chez eux des arbres qu’ils ont fait pousser dans la pépinière de l’école, cela peut encourager la famille à les planter soigneusement et à bien les entretenir. Ainsi, ils bénéficieront pour longtemps d’arbres précieux, qui sinon auraient probablement été délaissés ou broutés.
La permaculture concerne la durabilité des systèmes vivants naturels et de la culture humaine, mais paradoxalement cette durabilité dépend en grande partie de la flexibilité et du changement.
Beaucoup d’histoires et de traditions établissent que c’est au sein de la plus grande stabilité que se trouve les graines du changement. La science nous a montré que ce qui est en apparence solide et permanent est, au niveau cellulaire et atomique, une masse effervescente d’énergie et de changement, similaire aux descriptions de certaines traditions spirituelles.
Le papillon, qui résulte de la métamorphose d’une chenille, représente ce changement adaptatif qui est exaltant plutôt qu’angoissant.
Bien qu’il soit important d’intégrer cette compréhension de l’impermanence et du changement continu dans notre conscience ordinaire, il faut comprendre que la nature des changements dépend de l’échelle d’observation, ce qui explique l’apparente illusion de stabilité, de permanence et de durabilité. En effet, dans tout système, les changements rapides et éphémères des éléments de petite échelle contribuent pourtant à la stabilité de système d’un niveau d’échelle supérieure. Actuellement nous sommes amenés à vivre et à concevoir de nouvelles solutions dans un contexte historique de renouvellement et de modification des systèmes à toutes les échelles, et cela donne de nouveau l’impression que le changement sera sans fin et qu’il n’y a pas de stabilité ou de durabilité possible. Un sens contextuel et systémique de l’équilibre dynamique entre la stabilité et le changement contribue à orienter les efforts de conception dans une perspective d’évolution plutôt que de hasard.