La fête de la Saint-Nicolas, célébrée le soir du 5 décembre et dans la journée du 6, est chère au cœur de bien des enfants dans le Nord et l’Est de la France, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, et dans certaines régions d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse. Elle aussi engendre un scénario qui se renouvelle chaque année à leur grand plaisir. Saint Nicolas en personne leur rend visite. Mais, la présence du Père Fouettard à ses côtés est inquiétante.
Pourtant, le bon évêque n’est pas originaire de ces régions germaniques. Comment expliquer que son culte ait pu gagner ainsi le cœur de tous ces petits étrangers ? Nicolas est en effet né au 3ème siècle loin de là, à Myre en Asie Mineure, et s’est illustré par de nombreux gestes de générosité au cours de sa vie. Certains appartiennent sans doute plus à la légende qu’à la réalité. La réputation de ce “pourvoyeur d’abondance” était grande et elle l’est restée ! On disait qu’il avait sauvé sa ville de la famine ainsi que d’autres, plus éloignées, qu’il avait rejointes au moyen d’un bateau chargé de vivres, alors que la nuit était déjà tombée. Par ailleurs, il est devenu le patron des marchands et des marins qu’il aurait à plusieurs reprises sauvés de la tempête. La ville maritime de Myre étant un passage connu en Méditerranée, la popularité du saint ne fit que s’étendre en Orient et en Occident. Il est aussi le patron des prisonniers, pour en avoir libéré plusieurs, et avec saint Yves, il partage le patronage des avocats. De plus, pour avoir doté trois jeunes filles pauvres que le père vouait à la débauche, en jetant trois nuits de suite des bourses d’or par la fenêtre, il est devenu le patron des fiancés. Mais son “miracle” le plus célèbre – et sans doute légendaire – reproduit par de nombreux artistes, est celui d’avoir ressuscité “trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs”, qu’un méchant boucher avait découpés en morceaux et “mis au saloir comme pourceaux”. Tout cela ne pouvait que rendre le bon évêque extrêmement populaire et s’il est l’un des saints les plus représentés dans l’iconographie religieuse, il l’est aussi dans les chansons. La fête de saint Nicolas fut célébrée le 6 décembre, date présumée de sa mort en 343. En 1087, des marchands italiens transportèrent les restes de l’évêque à Bari dans les Pouilles, afin de les substituer aux Turcs infidèles. A la fin du 11ème siècle, un pieux Lorrain déposa une phalange du saint à Port en Meurthe-et-Moselle, et cela permit à son culte de s’étendre en Europe. D’illustres pèlerins, dont Jeanne d’Arc et plusieurs rois de France, sont venus prier dans la “grande église” qu’on y construisit. Par les marchands de la Mer du Nord ou du Rhin, la dévotion pour le généreux personnage grandit encore et vint probablement couvrir d’autres coutumes pré-chrétiennes. Le bon évêque fut ainsi vénéré dans ces pays germaniques où l’ancienne religion obéissait à Odin, appelé aussi Wotan. Ce dieu Odin, chef des dieux germains, dieu fondateur, avait la particularité de se déplacer dans les airs sur son cheval à huit jambes, Sleipnir, en compagnie de deux corbeaux. Il était assimilé au redouté “Chasseur sauvage” qui conduisait, lors des nuits de tempête et pendant les douze jours, un bruyant attelage fait des Walkyries ses messagères, de Perchta, ancienne déesse de la Fécondité muée en démon, et d’une armée de morts. L’image du saint évêque habillé de rouge ou de violet, avec sa grande barbe blanche lui conférant sagesse et dignité, se superposa progressivement à celles du dieu et des personnifications prometteuses de certaines tournées d’hiver que l’on appelait “beaux masqués”. La figure du Père Noël, qui tient beaucoup de lui, se dessine déjà. Nicolas fut tout naturellement affublé d’un vilain acolyte à la face noircie, criant, gesticulant et menaçant de ses fouets, image survivante des personnages laids des mêmes tournées hivernales. Ces deux sortes de masqués aux costumes si opposés symbolisaient la saison stérile et affreuse, ou au contraire le retour attendu des beaux jours. Dans les tournées suisses de l’Appenzell, les Sylvesterkläuse (“Nicolas de la Saint-Sylvestre”) continuent de symboliser ces contrastes au moment du Nouvel An des calendriers grégorien (le 31 décembre) et julien (le 12 janvier). On prête parfois au Père Fouettard, appelé aussi Hans Trapp en Alsace, Knecht Ruprecht en Allemagne ou Krampus en Autriche, des origine récentes inspirées de certains personnages historiques. Pour d’autres, il ne serait qu’une invention pédagogique du 18ème siècle, pour faire peur aux écoliers. Qu’il existe pour faire peur, cela est certain, mais sa création est sûrement antérieure. Les croquemitaines, tel le boucher de la chanson, ont toujours été des figures très présentes dans l’éducation des enfants, dès leur plus jeune âge. Les deux personnages si opposés que sont saint Nicolas et le Père Fouettard allaient donc ensemble dans les familles, le soir du 5 décembre, questionner les enfants. Les petits répondaient avec crainte et l’évêque ne manquait pas de leur distribuer quelques douceurs, pendant que le sombre compagnon les menaçait de ses verges. Mais le scénario s’est transformé, car les visites du saint et de son valet sont maintenant collectives : elles ont lieu à l’école par exemple. Cela soulage les enfants qui ne sont plus attaqués personnellement par le méchant Père Fouettard ! Ils n’oublient pas, ce soir-là, de déposer leur soulier dans la cheminée, avec du foin ou des carottes pour l’âne (pour le cheval aux Pays-Bas), et ils y trouvent le lendemain matin des pains d’épices, des spéculoos ou des massepains, ainsi que de menus jouets. Avant de s’endormir, ils invoquent le généreux saint dans des comptines qui, dans leur bouche, ne sont pas très éloignées de la prière.
D’ailleurs, à l’image de saint Nicolas, les distributeurs de cadeaux sont parfois religieux, comme l’Enfant Jésus allemand ou autrichien, ou comme les Rois Mages espagnols. Ces personnages mythiques sont très proches des enfants et ils restent très abordables dans leur esprit, comme peut l’être le Père Noël.
Au 16ème siècle, saint Nicolas, jugé trop papiste par la Réforme qui condamnait le culte des saints, fut remplacé dans les régions protestantes par l’Enfant-Jésus (le Christkindel ) symbolisé par une jeune fille vêtue de blanc. Des régions très catholiques comme l’Autriche et la Bavière allaient à leur tour adopter l’image angélique de ce Christkindel. De plus en plus souvent, le cortège de saint Nicolas est officiel et c’est toute la ville, avertie par la presse, qui vient à sa rencontre sur une place principale. La ” ferveur” des jeunes assistants reste la même ! Le Père Fouettard y est toujours présent, mais les enfants, même s’ils continuent de le craindre, ne se sentent plus menacés individuellement. Ces cortèges ont lieu le samedi ou le dimanche le plus proche du 6 décembre.