L’utilisation thérapeutique de la parole présuppose que l’inconscient soit structuré comme un langage. Le problème qui se pose au thérapeute, c’est celui de l’expression directe des pulsions du patient, de leur mise en formes significatives aux fins de constituer finalement un système de langage appelé à structurer l’inconscient.
Il n’existe pas d’autre moyen que l’activité artistique, symboligène, pour doter une personnalité borderline, d’un inconscient structuré par le langage, condition de son expression verbale et de son appropriation par le patient dans le parler.
L’intérêt de l’art-thérapie est d’étendre les limites de la psychanalyse classique, de la faire évoluer du champ verbal au champ préverbal voire non verbal.
Cette méthode, nous l’avions d’abord expérimentée sur nous-même (avec succès) avant de l’étendre aux personnalités ivoiriennes ou non ivoiriennes ayant la même organisation de personnalité, caractérisée par la non maîtrise du système symbolique.
Après quelques essais fructueux au Centre de Guidance Infantile, nous avons progressivement élargi cette méthode aux rares patients que nous suivions dans le privé.
Tout le bien que nous en ont dit ceux-ci, qui ne comprenaient pas que l’on puisse seulement se contenter de parler, en méconnaissant les potentialités prodigieuses du dessin, à prendre en compte certains désirs que la parole est impuissante à exprimer, ont fini par nous convaincre de la nécessité thérapeutique de l’art en psychothérapie.
Aujourd’hui, je peux affirmer que l’art-thérapie est une technique de prise en charge éprouvée, ayant livré tous ses secrets tant sur le plan pratique que théorique. Expliquée, puis proposée aux patients, c’est tout naturellement qu’elle est adoptée et pratiquée, à la satisfaction de ceux-ci, heureux de sacrifier à la fois à l’agir et au parler authentique et de prise de conscience.
Tout en parlant au thérapeute, comme il ferait dans une analyse classique, le patient dessine, assis devant une table, tout ce qu’il désire. Nos patients sont d’accord pour reconnaître que la poursuite simultanée des deux activités les aide à se sentir plus libres, parce qu’ils sont moins concentrés sur leur communication verbale.
La fonction toute particulière dévolue à l’art-thérapie est de prolonger la parole par l’intermédiaire de l’activité créatrice de langage et de provoquer la catharsis au moyen de la décharge pulsionnelle. La technique du grattage, frottage, arrachage, ponçage, lavage est destinée à produire des effets de castration et de destruction que la parole, si agressive soit-elle, est incapable de produire. C’est pourquoi, nous leur recommandons, dans les premiers temps, de ne pas se soucier de créer, mais de se laisser aller aux décharges pulsionnelles, à l’attrait de la jouissance-destruction.
La demande de laisser des restes leur sera exprimée plus tard au moment opportun, lorsque nous les jugerons prêts à tolérer les contraintes du Nom-du-père et de la socialisation à laquelle elle introduit.
Le fait de consentir à laisser des restes significatifs et de les préserver est le signe de soumission du patient à la loi du père et de son intégration réussie à l’ordre symbolique.
Lorsque sur la fin de ma psychanalyse, j’ai eu des préoccupations artistiques, je crois que j’aspirais à me défouler, à goûter au plaisir de l’acte pur, libéré des entraves de la parole, attrait du passage à l’acte, dont je fus sauvé par ma psychanalyste qui insista pour que je veille à décrypter mon inconscient embusqué derrière mes productions artistiques. Je lui suis reconnaissant de m’avoir aidé à garder le contact avec le langage et à postuler du sens derrière mes œuvres. Cette capacité à considérer l’objet d’art comme un symptôme à déchiffrer m’a permis de passer du simple défoulement culturel à l’activité thérapeutique par la médiation artistique.
C’est ici le lieu de dissiper le malentendu qui existe entre la simple activité artistique et l’activité artistique productrice de symboles, supports de prise de conscience en psychothérapie. En soi, l’activité artistique n’est pas thérapeutique même si à la faveur des mécanismes de la métaphore et de la sublimation, elle apporte un certain soulagement aux souffrances du moi. Ceux qui ont quelque peu « fréquenté » Rainer Maria Rilke, Nietzsche, Van Gogh et Artaud, pour ne citer que ceux-là, savent que l’art ne guérit pas. Il se contente de donner « une forme socialement acceptable aux instincts ». L’activité artistique ne devient thérapeutique, à la vérité, que lorsque l’artiste réfléchit sur ses productions pour appréhender les désirs qu’elles véhiculent. Elle s’avère alors le complément de la psychothérapie analytique.
En tant que substitut culturel appelé à corriger les défaillances de l’activité symbolisante de la mère phallique, qui n’a pas pu socialiser les besoins de l’enfant en les verbalisant pendant la satisfaction, l’activité artistique pet être d’un grand secours dans la résolution des conflits destructeurs qui déchirent actuellement l’humanité : Conflits destructeurs dont les points focaux se trouvent au Rwanda, au Burundi, au Libéria, en Côte d’Ivoire, au Kosovo, en Tchétchénie, en Irak, au Congo, etc.
En opérant la régression du patient, en l’encourageant à lever le tabou de la jouissance-destruction, en l’incitant à la symbolisation (plutôt qu’au renoncement pur et simple), en l’amenant à assumer son refoulé sous l’apparence d’œuvre d’art et enfin en lui faisant accepter la lecture de celui-ci comme un symptôme, l’art-thérapeute aide à la maîtrise des réactions primaires, conséquences à la déficience du maternage et favorise la socialisation authentique de l’homme.
Ainsi, l’art-thérapie ouvre une voie à la recherche des solutions au problème de la violence auquel l’humanité se trouve confrontée depuis sa naissance.