Qui a inventé le défrisant ? Est-ce un homme, une femme… ? Un(e) américain(e) sûrement ! Beaucoup de mythes entourent cette naissance, que l’on veut forcément dans la douleur… Lorsque je voyais ma mère se brûler le cuir chevelu avec sa crème-miracle, je lui posais aussi cette fameuse question.
« Pendant l’esclavage, pour punir les esclaves rebelles, le maître leur plongeait la tête dans un seau rempli de soude. Voyant que les cheveux du rebelle étaient devenus lisses, les autres esclaves ont eut l’idée de se lisser les cheveux en mélangeant de la soude à des pommes de terre et de l’œuf. Ils appliquaient ensuite le tout sur leurs cheveux », me répondait-elle.
Mythe ou réalité ? Aujourd’hui encore, je ne peux l’affirmer. Mais une chose est certaine : un inventeur revendique la paternité du défrisant, un certain Garret A. Morgan.
En ce début du XXe siècle, en pleine ségrégation raciale, les afro-américains font tout leur possible pour s’intégrer en gommant les caractéristiques physiques propres à leur groupe. A cette même époque, on assiste à l’invention du fer à boucler par Adam Frisby (1890), du peigne à lisser par Simon Monroe (1906) et enfin de l’ancêtre des pinces céramiques par Isaac K. Shero (1909). Désormais, les cheveux crépus ne sont plus une fatalité ; ils peuvent être lissés… du moins temporairement.
Une femme du nom de Mme Walker s’insère dans ce créneau et développe une gamme complète de produits spécifiques aux cheveux crépus. Elle lance la mode du lisse dans la communauté noire-américaine grâce à ses campagnes de publicités dans les journaux et à des techniques de marketing agressives tels que le démarchage (les Walker Agents [1]).
Grâce à son ambition et sa pugnacité, Mme Walker devient la première femme noire millionnaire. Consciemment ou non, Mme Walker a redéfini les canons de beauté chez la femme noire en diffusant à grande échelle l’idée selon laquelle pour être belle, une femme doit avoir les cheveux lisses. La réussite de Mme Walker démontre, par ailleurs, combien la cosmétique ethnique était et demeure une manne, ce qui inspirera beaucoup de personnes après elle…
A cette époque, la technique du lissage n’était pas encore au point, mais elle connaîtra dans les années suivantes un net perfectionnement, notamment grâce à G.A. Morgan.
Garret Augustus Morgan, né en 1877 dans le Kentucky, était fils d’esclaves affranchis. Très tôt, il montre un don pour les inventions.
Comme beaucoup d’Afro-Américains à cette époque, le jeune Garret est contraint d’arrêter ses études à l’école élémentaire afin de travailler dans la ferme familiale. Mais Morgan a de l’ambition et ne se voit pas finir fermier. A 18 ans, il déménage pour Cleveland où il travaille en tant que réparateur de machines à coudre. Très vite, il monte sa propre affaire.
On raconte que c’est à cette époque que se produit l’événement à l’origine de l’invention du défrisant.
Morgan travaille dans son atelier, absorbé par la réparation d’une énième machine à coudre quand, tout à coup, du lubrifiant utilisé pour l’entretien des machines se renverse sur ses mains. Il les essuie négligemment sur son pull en laine et retourne à sa réparation.
Le lendemain, de retour au travail, il s’aperçoit que la laine du vêtement est devenue toute lisse. Intrigué, il décide d’expérimenter le produit sur… le chien Airedale du voisin ! L’expérience se révèle concluante : le lubrifiant rend les poils du chien si lisse que son propre maître ne le reconnaît pas et le jette dehors !
Morgan décide donc d’essayer le produit sur ses propres cheveux : c’est ainsi que naît le G.A. Morgan’s Hair Refiner Cream, traduction en langue française : baume capillaire embellisseur de G.A. Morgan.
De cette trouvaille fortuite, Morgan développera tout une gamme de produits capillaires, à tel point qu’il pourra se targuer quelques années plus tard d’avoir créé la plus large gamme de soins capillaires au monde.
En 1910, la G.A. Morgan Hair Refiner Company propose ainsi des défrisants accompagnés de leur shampoing neutralisant, des huiles et pommades censées accélérer la pousse des cheveux, des colorations, des fers chauds et même des crèmes éclaircissantes.
Le kit complet pour s’aliéner à moindre frais : « cheaper than the cheapest », comme Morgan lui-même qualifie ses produits (voir illustration : cliquez pour agrandir).
L’entreprise de Morgan prospère et lui permet de financer ses autres inventions telles que le masque à gaz ou les feux de circulation à trois positions.
Un autre homme, George Ellis Johnson (voir photo) jouera également un rôle déterminant dans l’histoire du défrisant.
En 1954, après avoir emprunté 500$ à la banque et à des amis, il crée avec sa femme Joan, un commerce axé sur la vente de produits capillaires pour afro-américains.
Le premier produit lancé par la Johnson Products, l’Ultra Wave, un défrisant pour homme rencontre un franc succès. En effet, dorénavant, plus besoin d’accompagner le défrisage d’une étape de lissage au fer chaud : le produit seul suffit.
En 1957, il décide de cibler les femmes et lance un défrisant révolutionnaire, utilisable chez soi.
Au cours des décennies suivantes, la Johnson Products continue à prospérer et participe au côté de Carson et Soft Sheen à l’évolution du défrisant. D’un produit contraignant, utilisable uniquement en salon de coiffure et nécessitant au moins 5h de pose, ils en feront un produit simple d’utilisation, accessible à toutes et à tous.
Aujourd’hui, l’industrie cosmétique ethnique a élargi son offre et représente des milliards de bénéfice chaque année.
1] Jeunes femmes formées dans l’école de Mme Walker (créé en 1908) et chargées de réaliser des démonstrations et des ventes en porte à porte.
http://www.mamiwata.net/index.php?page=une-histoire-de-cheveux-naissance-du-defrisage