The wall is coming down, but our work has just begun. Le message illustrant la vidéo #BreakTheWalls de sheamoisture est parlant. En passant du rayon produits ethniques au rayon beauté, la marque américaine brise un système ségrégationniste qui s’exprime jusqu’au rayon shampoing.
La belle histoire
Fondée aux USA en 1992, sheamoisture est une compagnie américaine crée par les descendants de Sofi Tucker qui, dès 1912, en Sierra Leone, avait lancé une activité de fabrication et distribution de produits pour le corps et les cheveux à base de beurre de karité et de savon noir. Composés d’ingrédients naturels et issus du commerce équitable, les produits sheamoisture doivent leur succès à la large gamme de produits capillaires dédiés à la beauté des cheveux crépus, frisés et bouclés. Une cible clairement afro. Les gammes se sont progressivement développées: hommes, baby, cosmétiques.</p’
Actuellement valorisé à 200 millions de dollars, l’entreprise a toujours un actionnariat majoritaire familial. Les produits sont distribués aux USA et à travers le monde.
Rayon Beauté vs Rayon Ethnique : les hyper-marchés sont-ils racistes ?
« Aux USA, le rayon cosmétique est le dernier endroit où le ségrégationisme n’est pas encore aboli .» peut-on lire dans le communiqué de la marque. En scindant le rayon cosmétique en Beauté et Ethnique, y aurait-il, dans le chef des hyper-marchés, une volonté délibérée de faire de la beauté ethnique une beauté de seconde zone ? Et, par extension, de ses utilisatrices des clientes de second choix ?
Les Hypers et leurs centrales d’achat ne sont pas connus pour faire du sentimentalisme mais plutôt pour être des machines de guerre en termes de logistique et de maximisation des marges. Le simple fait d’être référencé dans le magasin coûte un prix énorme à la marque la contraint à de nombreuses obligations (volumes disponibles, marges arrières, marges avant, dé-référencement de certains produits…) ce qui représente une réelle barrière pour la majorité des marques de cosmétique ethnique.
Ensuite, c’est surtout une question de statistiques de ventes. Plus une marque rapportent à l’enseigne, meilleur est son positionnement dans le rayon, tant sur le plan horizontal (tête d e gondole, centre ou tiers du rayon) que sur le plan vertical (hauteur d’yeux, haut ou bas). Une fois la marque du distributeur et les marques majors (L’Oréal en tête) positionnées, il ne reste plus beaucoup de place pour les outsiders. Ceux-ci sont alors placés ensemble, à de moins bonnes places.
Même si la clientèle noire dépense jusqu’à deux fois plus que la clientèle blanche en produits cosmétiques, le volume global des produits ethniques reste inférieur (moins de clientes et qui n’achètent pas forcément des produits estampillés ethnique).
En intégrant un rayon plus vendeur, SheMoisture s’assure de facto aussi une plus grande visibilité et plus de revenus.
Du combat logistique au plaidoyer pluriversaliste.
Le fait qu’il y ait un rayon clairement identifié « beauté » et un autre rayon étiqueté « ethnique » (séparant les produits cosmétiques ethniques des produits généraux) est très révélateur des critères esthétiques stéréotypés prédominant dans l’industrie cosmétique et dans la société de manière générale. Un standard caucasien aux cheveux longs et lisses qui exclue tout autre modèle de l’allée principale. Un modèle d’infériorité intériorisé par une part non négligeable des femmes noires.
En intégrant le rayon « Beauté », SheMoisture ne souhaite pas uniquemet opérer un changement logistique. SheMoisture souhaite ouvrir le débat sur la façon dont l’industrie considère la beauté de manière racisée.
Néanmoins, peut-on uniquement jeter la pierre aux hyper-marchés ? A force de s’autodéterminer comme cosmétique ethnique, ethno-cosmétique, cosmétique pour femmes de couleur, pour cheveux texturisés, etc… les firmes cosmétiques concernées se mettent peut-être aussi elles-mêmes hors des circuits classiques. Comme l’indique le Dr Khadi Sy Bizet (dermatologue spécialiste des peaux noires), en total désaccord avec ce terme « ethnique » qui renvoie à la notion de « race » et à une échelle de valeur qui a causé bien du tort, a-t-on besoin de s’enfermer dans une sémantique qui prête à confusion, réductrice, excluante voire communautariste? Pourquoi ne pas oublier l’étiquette (ou ne garder que le terme beauté globale) et miser sur un marketing multi-ethnique, un géomarketing ultra précis ?
Le but n’est pas de vouloir fusionner ou noyer les identités dans une beauté « universelle » (dans laquelle tout le monde se ressemble). Il faut au contraire viser le «pluriversalisme », accepter l’émergence de nouvelles représentations de la beauté, les accompagner et accélérer leur affirmation. L’idée est de faire sortir ces marques ethniques du statut de marques de niche, qu’elles acquièrent une plus large visibilité et une plus large audience. Les marques qui réussissent à se positionner de façon à attirer de larges groupes de consommateurs parviennent à briser ce fameux plafond de verre. Précisément que vient de faire SheaMoisture.